La phase du pardon s’est arrêtée au rap !

 Pierre-Yves Faucher

MUSIQUE – Récemment, j’écoutais les Grammys et je me sentais vieux. J’écoute la radio commerciale et je me sens vieux. En fait, la rupture avec les générations qui me suivent s’est faite avec l’arrivée du rap.

Les baby-boomers, dont je fais partie (faute de meilleures appellations), amateurs d’Elvis, des Beatles, de «Heavy metal» à la Led Zeppelin, Black Sabbath ou Deep Purple ont pardonné bien des choses aux nombreuses moutures du rock et de la pop qui ont suivi.

On a pardonné au Disco (ça ne s’écoute pas, ça se danse); au Punk (ils ne savent pas jouer de leurs instruments, mais au moins l’énergie d’une révolte profonde est bien sentie et où les interminables solos de guitare et de drum du début des années 70 étaient exclus); à la New Wave et ses synthés, au Reggae Rock à la Police; aux « Power ballades », où on investissait davantage dans le fixatif et la teinture dans les cheveux que dans l’inventivité de la composition et au grunge (Nirvana, Soundgarden entre autres) à qui on accorde la note de passage en raison des guitares distortionnées par des amplis à 11 sur l’échelle de Richter.

Mais là, je dois confesser en ce qui me concerne que la phase du pardon s’est arrêtée au rap…

Les personnes qui ont vécu leur adolescence dans les années 60 n’écoutaient pas, à ce que je me rappelle, la musique qu’écoutaient leurs parents.

Un de mes amis musiciens me confiait récemment que dans le cas de toutes les générations, les plus jeunes ont adopté la musique faite par les plus jeunes. Il me donnait en exemple que sa mère aimait bien Frank Sinatra dans les années 50 et que sa grand-mère disait de lui qu’il n’était que «deux grandes oreilles derrières un micro».

Ouch!

La technologie a permis bien des choses, dont la démocratisation de la production. Avec peu de moyens financiers, on peut aujourd’hui créer et diffuser de la musique qui peut être appréciée par des millions de personnes. Elle a permis par contre dans le cas de certains genres musicaux, d’atrophier considérablement les strates sonores qui alimentent le cerveau avec ses beat box et les machines à boucles (loop).

Après 1000 écoutes d’une chanson de rap (je généralise, bien sûr), on n’entend rien de plus que ce qu’on a entendu la première fois. Notre cher ami Keith Richards a une opinion bien arrêtée sur cette question, dont les propos ont été exprimés dans une entrevue accordée au New York Daily News le 3 septembre 2015.

« Le rap, c’est une avalanche de mots et tellement peu de contenu. Ce qu’il y a de plus impressionnant dans le rap, c’est qu’il a démontré qu’il y a énormément de gens qui n’ont pas une oreille musicale (tone deaf). Ils ne se contentent qu’un d’un beat de drum et quelqu’un qui hurle dans le micro. Il y a un immense marché commercial composé de gens qui ne peuvent pas différencier une note d’une autre.»

Sévère le papy du rock’n roll !

De son côté, le producteur émérite Quincy Jones n’y va pas avec le dos de la cuillère avec le rap, les producteurs et les soi-disant musiciens de la pop moderne dans une entrevue accordée au magazine Rolling Stone, publiée le 3 septembre 2015.

Bien sûr, il ne déteste pas tout (il avoue son respect pour Chance the Rapper, Ed Sheeran et Kendrick Lamar; mais on ne va pas gâcher mon plaisir en élaborant là-dessus. D’après M. Jones, le rap, ce n’est que des boucles de quatre mesures. C’est toujours et encore la même phrase musicale de quatre mesures en boucle. L’oreille a besoin que la mélodie lui plaise.

«Vous devez stimuler constamment l’intérêt sinon votre esprit/cerveau s’éteint quand la musique ne change pas. Sous cet aspect, la musique est bien mystérieuse. Vous devez garder l’oreille occupée ».

Quincy Jones

Quand on lui a demandé s’il entendait de l’innovation  dans la musique pop d’aujourd’hui, il a sorti la machette. « Avec ces boucles et ces beats, qu’y a-t-il à apprendre de ça? Il n’y a aucune (blasphème vulgaire) chanson. Tout est dans la chanson. Le chanteur est le messager et le plus grand d’entre eux ne peut sauver une mauvaise chanson, quel que soit le crémage qu’on y applique. »

M. Jones s’en prend ensuite aux producteurs qu’il traite de paresseux et de faire preuve de cupidité. Il leur reproche aussi d’ignorer les principes de base de la musique des générations passées. « C’est une vraie farce.  Vous êtes censés utiliser tout ce qui vient du passé, car c’est plus facile de savoir où on va si on comprend d’où on vient. Vous devez comprendre la musique qui touche les gens pour qu’elle devienne la bande sonore de leur vie ».

Un des reproches fait aux musiciens de la pop moderne, c’est leur manque de formation musicale, mais ce qui lui fait le plus mal, c’est que ces musiciens s’en foutent. « Ils ne peuvent pas aller au bout de leur création musicale parce qu’ils n’ont pas fait leurs devoirs avec le côté gauche de leur cerveau. La musique, ce sont des émotions et de la science. On ne peut pas pratiquer les émotions parce qu’elles viennent naturellement, mais la technique c’est différent. Les gens se limitent eux-mêmes musicalement ».

Sur une note moins sombre, en entrevue au Festival International du film de Toronto en septembre dernier pour promouvoir le documentaire « Eric Clapton : A Life in 12 Bars », le principal intéressé parle de la musique que ses enfants écoutent (trois ados entre 13 et 17 ans).

« Elles écoutent du classic rock, mais c’est peut-être en raison du fait que c’est ce que je faisais jouer à la maison à l’aide de playlists à partir du moment où elles étaient dans le ventre de leur mère… Je crois que toute musique est bonne, même le matériel qui ne semble pas l’être. » Cette assertion mérite d’être méditée.

Hé oui, je pensais que les années 70 dureraient 100 ans. En réfléchissant sur le rap, je me sens moins vieux, mais pas plus jeune. Ramenons donc les cours de musique dans nos écoles, donnons des guitares, des tambours et des trompettes en cadeau aux enfants. Et laissons-les pratiquer dans le garage! Et comme le chantait Carlos Santana: « Let the Children Play! »

Carlos Santana