Par derrière chez ma tante y a t’un bois joli… et autres gai lon la. À conserver.

Paul-Henri Hudon

HISTOIRE – Les bonnes vieilles chansonnettes françaises ont de grands chances d’être conservées. Elle sont plus connues, enregistrées, notées. Je dirais qu’elles sont enfouies dans l’inconscient héréditaire et leur mélodie surgit facilement. Ce qui risque d’être perdu ce sont les “bouts-rimés”, les chaines de mots, les turlurettes anciennes, bref, les rengaines et refrains d’un temps oublié. Il faut immortaliser ces jeux verbaux enfantins.

Qui se souvient de ces “formulettes” folkloriques que les grands-parents d’autrefois répétaient pour distraire les marmots sur leurs genoux ? Comme celle-ci : “-Ventre de son -estomac d’ grue -falle de pigeon -menton fourchu -bec d’argent -nez cancan -joue bouillie -jour rôtie, p’tit oeil -grot oeil -sourcillon, -sourcillette -et cogne, cogne, cogne la mailloche“. En prenant bien soin de toucher l’anatomie à chaque mot. Ce qui faisait rire le gamin. Ou encore cette autre, en égrenant les doigts depuis le pouce jusqu’à l’auriculaire : “Celui-là a été à la chasse -celui-là l’a tué -celui-là l’a plumé -celui-là l’a fait cuire -celui-là l’a mangéPauvre carabinette, n’en n’a eu pas une miette, pas une miette“. Toute autre variante finale pouvait être inventée. Une tournée corporelle, quoi !

L’enfant n’appréhendait-il pas les chiffres, quand sa mère-grand lui rythmait ? : ” Dix veaux bien gras – Neuf chevaux avec leurs selles -huit moutons avec leur laine -sept vach’s à lait -six chiens courant -cinq lapins grattant la terre -quatr` canards volant en l’aire -trois rats des bois, -deux tourterelles -une perdriole, qui vient, qui va, qui vole. Une perdriole qui vole dans les bois”. En ajoutant des nombres à l’infini, en mimant l’animal, elle endormait le “petit ange” dans des rêves de basse-cour. Des chiffres à tout !

Il y a aussi ces variations colorées inspirées du poulailler, comme celle-ci, plus populaire: “C’est la poulette grise qui a pondu dans l’église, elle a pond un p’tit coco pour … qui va faire dodo“. Puis “c’est la poulette noire… dans l’armoire,.. la blanche… dans la grange,.. la brune… dans la lune, .. la beige… dans la neige, …etc” Et jaillissent les teintes rares!

Enfin ce verset “tape-pied”, qu’on répétait à l’infini, avec ou sans violon: “Jamais je marierai le fill’ d’un coupeur de paille, la fill` d’un coupeur de blé, la fill` d’un coupeur de paille, la fill` d’un coupeur de bléla fill` d’un...” jusqu’à épuisement du violoneux et à la sueur des danseurs.

Notez dans leur simplicité, la rime discrète, la cadence variée, les mots raccourcis de ces chapelets de mots. Ces “rythmettes” valent bien les comptines modernes de nos maternelles. Ne sont-elles pas la source lointaine et inconsciente du slam moderne avec ses paroles scandées sur un fond rythmé ?

C’est une mémoire à conserver. Un patrimoine, issu des âges, qu’il importe de sauvegarder. Car, c’est de survivre qu’il s’agit.

Source: Chansons populaires du Canada, recueillies par Ernest Gagnon. Québec, 1880, Édition Robert Morgan, 350 pages.

Illustration: Conte d’enfants, Opinion publique, 21 janvier 1875, 16 septembre 1875.