Où iront nos déchets?

 Lise Perreault

ENVIRONNEMENTLa Chine a posé le couvercle sur la poubelle, nous remettant soudainement entre les mains la responsabilité de nos déchets. Et dévoilant un grave malaise : comment se fait-il qu’après une vingtaine d’années de récupération, le Québec soit encore aux prises, annuellement, avec 13 millions de tonnes de matières résiduelles? 

La récupération est-elle une façade qui donne bonne conscience? Un leurre? Il va sans dire que récupérer sans recycler participe à un cycle incomplet qui amoindrit radicalement l’effet positif de l’exercice. En effet, quel est le but de la récupération de la matière si on ne la transforme pas ?

À ce chapitre, on vogue d’énormité en énormité : malgré le grand apport de matières déposées dans le bac bleu par les Québécois, 6,7 millions de tonnes de matières résiduelles finissent dans les dépotoirs. Pourtant, 2,5 millions de tonnes de matières récupérées ont une valeur de 550 millions de dollars, 90 % des matières résiduelles pourraient être recyclées, alors que le cycle récupération/recyclage offre un potentiel de 10 000 emplois.

Il s’avère ainsi que l’industrie de la récupération et du recyclage crée 30 fois plus d’emplois que l’industrie de l’élimination. Ce qui est non négligeable. Qu’est-ce qu’on néglige alors, pour continuer à gérer au coût de1,3 milliards par année les 13 millions de tonnes de matières résiduelles que l’on génère par année?

Les chiffres nous indiquent qu’en remédiant à la déficience chronique de notre industrie du recyclage, on ferait d’une pierre trois coups en gagnant tant au plan environnemental, social qu’économique. Or, la situation actuelle est moins brillante que cette possibilité : les Québécois récupèrent, l’industrie du recyclage ne suit pas.

La Politique québécoise de gestion des matières résiduelles s’inscrit dans la volonté gouvernementale de bâtir une économie verte, peut-on lire sur le site gouvernemental Développement durable, Environnement et Lutte contre les changements climatiques (Québec).

Cette politique vise à créer une société sans gaspillage qui cherche à maximiser la valeur ajoutée par une saine gestion de ses matières résiduelles, et son objectif fondamental est que la seule matière résiduelle éliminée au Québec soit le résidu ultime… « S’inscrit dans la volonté gouvernementale »… : manquerait-il de volonté?

Qu’est-ce qu’ils signifient, ces bacs bleus disposés comme des sentinelles environnementales au bord de nos rues, de nos routes? Une entreprise hypocrite? Tout est mis en place pourtant. Les symboles apparaissant sur les contenants, les numéros de catégorie de plastique pour faciliter le tri, les efforts des municipalités, les feuillets d’horaire de cueillette, les bennes à recyclage, tout! Et ça se fait enfouir comme de vulgaires ordures, et ça aboutit en Chine!

C’est devenu absurde, j’ai un sentiment d’inutile quand je nettoie systématiquement, pour aller porter dans mon grand bac bleu bouteilles de verre, de plastique, cannages et cartons de lait, de jus, quand je déchiquette mes papiers.

Et pour cause, les chiffres qui suivent n’ont rien de glorieux. Plastique : 547 000 tonnes enfouies par année, papier et carton : 542 000 tonnes enfouies par année, verre : 86 000 tonnes enfouies par année, métal : 168 000 tonnes enfouies par année. Dès lors, on peut affirmer qu’on ne s’acquitte pas correctement de l’entreprise récupération/recyclage.

Donc, la Chine, en prenant cette décision de ne traiter que ses propres déchets, remet illico le problème aux pays riches. Aux États-Unis, ils ont commencé à stocker sur des parkings ou des décharges de plein air. Tiens donc, à étaler à ciel ouvert notre dépotoir, on risque enfin d’en voir la démesure!

Et du même coup, de reconnaître la démesure de notre consommation. Personnellement, concernant la politique gouvernementale qui vise « une société sans gaspillage », l’objectif m’apparaît bidon, puisque la surconsommation est un gaspillage en soi. Sachant qu’une consommation, même raisonnable, est déjà une incontestable composante du problème – elle est l’origine du déchet – ça devient grossier : on consomme comme seul un pays riche et endetté (drôle de contradiction) peut se le permettre, et on expédie nos vidanges à l’autre bout du monde!

Car à cet égard, pour couronner le tout, nos intentions demeurent invariables. En effet, dans la panique générale causée par cette fermeture soudaine de la Chine poubelle, on va bien sûr chercher des solutions alternatives. C’est-à-dire essayer d’identifier de nouveaux marchés de substitution, à supposer qu’ils aient les capacités de traitement: on parle de l’Inde, du Pakistan, du Cambodge, du Vietnam.

Pourquoi ne l’a-t-on pas, au Québec, la capacité de traitement? Pour établir un équilibre, il faut pourtant avoir la capacité de traiter ce qu’on a la capacité de consommer. C’est élémentaire. C’est criant de logique.

Et c’est ce qui me sidère, qu’on ne soit pas en mesure de gérer nos propres déchets, nos biens de consommation en fin de vie. Non, mais, c’est qu’ils voyagent, qu’ils en produisent des gaz à effet de serre pour se rendre sur un autre continent, nos déchets. Et qu’ils en engloutissent de l’argent! Sapristi, je n’aurai jamais tant voyagé que mes détritus!

Je ne trouve pas ça normal. Et pas normal qu’au lieu de profiter du revirement, très légitime à mon sens, de la Chine qui en a amplement avec ses propres rebuts, d’autant plus qu’elle acceptait des taux de contamination plus élevés qu’on ne les tolère chez nous, donc, plutôt que de profiter de ce revirement pour traiter le problème et nos déchets, on ne songe qu’à ouvrir d’autres marchés de « pollution ». Franchement décourageant.

À court terme, on n’a pas d’autre choix que d’enterrer, incinérer, augmenter du même coup les GES. Cela, faute de politique cohérente et d’une industrie efficiente. Cela, depuis notre vingtaine d’années de récupération! De camions qui déambulent sur nos routes (GES), de taxes payées pour ce service, d’eau gaspillée à nettoyer des contenants qui finissent déjà, en bonne partie, enfouis.  D’efforts inutiles fournis. Et surtout, d’abus de confiance de la population québécoise qui a l’illusion de recycler.

Belles paroles creuses et gouvernementales. Proprement blâmable.