Sexe, drogue, rock’n roll et musique classique…

 Pierre-Yves Faucher

LIVRE – La vie des rock stars et leurs excès est bien documentée, que ce soit dans des autobiographies ou des récits non autorisés (que j’appelle règlements de compte). Les comportements déviants alimentés par les abus d’alcool et de drogues sont souvent associés aux musiciens des années 70, mais selon un nouvel ouvrage qui vient de paraître en 2018, intitulé « Les sept péchés capitaux – sexe, violence, argent, les nouveaux excès de la musique », rien n’a vraiment changé dans les années qui ont suivi cette décennie tumultueuse.

Dans ce cas-ci, pour paraphraser un autre Pierre-Yves (McSween), « en as-tu vraiment besoin ?» d’un (autre) livre sur les excès des rock stars ? Plus non que oui.

Anne-Sophie Jahn, journaliste spécialisée en musique pour le magazine Le Point et le site Web « Le Point Pop » est venue présenter récemment au Québec son tout récent cru qui inclut des détails les plus sordides sur les comportements entre autres d’Oasis, de Blur, Jay-Z, Puff Daddy tout en ne manquant pas d’écorcher Bertrand Cantat en étalant sans complaisance sa propension à la violence conjugale.

On pardonne bien des choses à ces rock stars comme détruire les suites de leur hôtel, commencer leur spectacle avec deux heures de retard et consommer des barils de poudre et de cervoises, mais pas de pousser au suicide et de tuer des gens.

La réflexion de l’auteure se concentre dans l’introduction avec un seul aparté concernant un chanteur français dans la première partie. Le reste de l’ouvrage n’est qu’une suite d’anecdotes sur la violence, l’argent, le sexe, la drogue. L’avantage d’un tel ouvrage, c’est de trouver rassemblées dans un 310 pages bien tassées, toutes les histoires croustillantes éparpillées dans les journaux à potins et les revues spécialisées.

Tout le monde en prend pour son rhume, hommes, femmes, agents, directeurs de compagnie de disques, etc. Petite encyclopédie de la débauche, pour ainsi dire.

Dans la vraie vie, la toxicomanie et l’alcoolisme détruisent des vies personnelles et pourrissent les relations humaines. Dans le monde très compétitif de la musique, ce qui est particulièrement surhumain, c’est de résister à la pression de dépasser le niveau « saveur du jour », d’exciter les fans, de conserver une direction artistique cohérente, inspirée et créative, de respecter les exigences capitalistes des compagnies de disques et de contrôler les égos.

Les histoires de jeunes paumés, mal élevés qui n’ont rien à perdre au début de la vingtaine et mal préparés à la soudaine richesse pullulent sur la scène rock. Mais les fans veulent que la vie de leurs idoles corresponde aux textes de leurs chansons décadentes. Il me semble qu’on a autre chose à faire qu’aller pleurer sur leur tombe.

Classic rock, musique classique : même combat

Le trac, les peurs inexplicables, les comportements compulsifs obsessionnels, l’anxiété débilitante, la consommation de propranolol, de valiums et de vodka ne sont pas seulement le lot des rock stars pour atténuer la pression et pour satisfaire les besoins conscients ou non d’autodestruction.

Cette réalité afflige également les musiciens d’orchestre de musique classique ! Les nombreuses allégations sexuelles et psychologiques envers les musiciens concernant Charles Dutoît au Québec comme à l’étranger ont mis au jour les ravages sur des vies personnelles et professionnelles qui sont souvent passés sous silence pendant plusieurs années.

Il y a quelques années en Angleterre, une initiative thérapeutique a voulu réparer des vies par la musique. Examinons le cas de Rachel Lander qui se confia en entrevue au site Radio Times. Cette violoncelliste classique britannique qui a commencé à jouer à l’âge de huit ans avait très jeune l’ambition de gagner sa vie comme musicienne d’orchestre comme ses parents.

Elle aimait jouer jusqu’à ce que des crises d’anxiété débutent à l’âge de 14 ans pour empirer jusqu’au début de la vingtaine. À 15 ans, elle jouait au Royal Albert Hall, amphithéâtre mythique de Londres et à 22 ans, elle avait remplacé le jus de fruit du matin par de la vodka !

Dans son CV: serveuse de restaurant alcoolique. Pendant deux ans, sa routine quotidienne du matin était centrée entièrement sur l’alcool. Si son corps n’était pas imbibé de l’intérieur dès son réveil, les affreux symptômes de sevrage se manifestaient: tremblements, sueurs froides, fourmillements, crampes à l’estomac seulement pour en nommer que quelques-uns.  Quand le propranolol et les cocktails de vodka ont cessé de fonctionner, ce sont les valiums qui ont pris la relève.

Selon elle, les problèmes de toxicomanie sont légion dans la communauté des musiciens classiques pour plusieurs raisons. « C’est un style de vie avec des heures de travail variables comprenant une socialisation essentielle après les concerts. Plusieurs d’entre eux utilisent l’alcool et les bêtabloquants (qui diminue entre autres l’excitabilité cardiaque) pour contrôler l’anxiété de la performance et après le « high » de la représentation, ils peinent à redescendre, donc ils prennent un verre pour relaxer. Ce rituel devient une habitude ».

La musique est docteure

En 2013, elle fut invitée à participer à un projet ambitieux en compagnie de neuf autres musiciens affligés comme elle de diverses dépendances. Il s’agissait d’un programme de huit semaines (octobre à décembre 2013) qui avait pour but d’explorer les bienfaits de la musique sur des personnes se rétablissant de la toxicomanie et de l’alcoolisme. Ce groupe a été nommé l’Addicts Orchestra (l’orchestre des toxicomanes).

La démarche consistait à rassembler un groupe de musiciens disparates de divers horizons musicaux et de travailler à composer et à jouer leur propre création en compagnie de l’Orchestre symphonique de Londres. Rien de moins. Stressant, vous dites ?

Le travail de collaboration a produit une suite orchestrale originale de 22 minutes appelée Rhapsodie des domptés (Rhapsody of the Tamed).

Certains d’entre eux n’avaient pas touché à leur instrument depuis 20 ans et d’autres venaient à peine de recommencer à jouer. Un documentaire (Addicts’ Symphony) diffusé sur la chaîne 4 de la BBC en 2014, illustre le parcours de cet orchestre peu banal et dévoile au grand jour la dépendance passée de ces musiciens dont la rémission était récente pour certains. Le documentaire est disponible sur Youtube :

https://www.youtube.com/watch?v=5MIiKeaMua0

En dévoilant publiquement son anxiété liée à la performance en public et son alcoolisme, Rachel Lander considérait cela comme un suicide professionnel et en veut à la profession musicale classique qui traite le trac (maladif) comme un sujet tabou en dépit de l’immense pression exercée sur les musiciens.

Son histoire n’est pas unique, plusieurs musiciens classiques souffrent en silence, engourdissant leur douleur et leur honte à l’aide de bêtabloquants et de l’alcool tout comme elle.

Pour elle, pour des raisons qu’elle ignore, il est plus acceptable d’admettre sa fragilité dans le monde du rock et de la pop. Cette thérapie pourrait-elle servir à guérir d’autres cas de dépendance? Il faut espérer en ce sens.

«Les sept péchés capitaux du rock : Sexe, violence, argent, les nouveaux excès de la musique», par Anne-Sophie Jahn, Flammarion, 310 pages.