La maladie mentale. Le pire drame pour les familles autrefois

Paul-Henri Hudon

HISTOIRE – Il n’y avait pas de renfermement comme en France.  Seuls les malades dangereux, les “fous furieux”, étaient conduits à l’asile (qu’on prononçait âsile). Et ces hospices étaient rares et éloignés.

Le “Montreal Lunatic Asylum” fut fondé à Montréal en 1839. L’Asile de Beauport (Asile St-Michel-Archange) en 1845. Les Soeurs de la Providence (Émilie Gamelin) ouvrirent aussi un refuge, l’asile Saint-Jean-de-Dieu pour les déficients intellectuels, en 1863. Chez ces dernières, le coût d’hébergement était de 100 $ par an. Quelques familles seulement pouvaient s’autoriser cette dépense. Ainsi, les “fous tranquilles” demeuraient-ils à la charge des familles.

Pensons à l’inquiétude permanente, à la gêne, au repliement sur soi, aux craintes continuelles et à tous les autres effets sur l’entourage, comme l’épuisement, les blâmes, l’isolement social, les soins et les frais de toutes sortes ?

Surveiller les simples d’esprit, les idiots, les dérangés, les crétins, les maniaques. Trouver des gardiens, des curateurs pour les “interdits”, les déments, les porteurs du “mal caduc”. Quelle charge ! Peut-on imaginer, aujourd’hui, le réseau des solidarités familiales mis de l’avant pour soulager les responsables ? Le cas de Catherine P… qui suit est un exemple:

Frederick Hechner, cordonnier, résidant actuellement à Saint-Luc, affirme qu’il était resté dans l’année 1810, environ dix mois avec Basile P… Il a connaissance que Catherine P…, jeune fille d’environ seize ans, restait alors avec le dit Basile P…, son tuteur, et que cette jeune fille, ayant l’esprit bien faible et maladive, était très à charge à son dit tuteur. Il n’aurait pas voulu la prendre à ses soins, à moins de six livres cours ancien, vu que la dite Catherine P… a toujours eu besoin d’être veillée jour et nuit, ayant l’inclination de jeter tout au feu, et qu’elle n’était d’aucune utilité dans la demeure de son dit tuteur; et qu’elle était aussi portée, lorsque la folie la prenait, à casser et qu’il l’a vue casser plusieurs fois des verres et autres choses. Hechner affirme de plus qu’elle lui a souvent offert et porté du lard, que le déposant lui a refusé et renvoyé porter. Il précise que le tuteur a toujours eu bien soin d’elle eu égard à ses infirmités… Dont acte. (Notaire René Boileau, 19 mai 1817).

Desanges Viau, épouse de Pierre Robert, est prête d’affirmer sous serment que Basile P… et Marie-Anne G… ont eu depuis environ deux ans un grand soin de Catherine P…, leur nièce, très infirme, tombant du haut mal très souvent, tant le jour que la nuit, et que la dite Catherine P… était très incommode quand elle était dans cet état, et que l’on était toujours sujet à la veiller; elle ne pouvait être d’aucune utilité à la maison. La dite déposante affirme qu’elle n’aurait pas voulu la prendre à ses charges et soins pour six livres, cours ancien, par jour. Dont acte. (Notaire René Boileau, 24 mai 1817).

Il semble que le montant de six livres par jour soit perçu comme insuffisant pour le tuteur, d’autant plus que la malade ne pouvait rendre aucun service utile et même détruisait du mobilier.

Et cet autre cas. Un fugueur: Alexis C…, vingt ans, fils d’Alexis C…, du rang du Grand Coteau, est disparu depuis juin dernier. Aucune nouvelle. Il était depuis un an sujet à des accès assez fréquents d’aliénation mentale. Il s’était déjà absenté pour six semaines à la fois, revenant toujours au logis. On croit qu’il a pris la route des États-Unis. Il mesure environ 5 pieds, 6 pouces, robuste de taille, cheveux et yeux très noirs, face large. Pantalon d’étoffe du pays de couleur plus foncée devant que derrière (Le Franco-Canadien, 4 décembre 1868).

Notes, L’un des trois fondateurs de l’Asile de Beauport en 1845 était le Dr Charles-Jacques Frémont (1806-1862). Son père Charles Frémont (1771-1827) demeurait à Chambly dans les années 1820 à 1827. On l’a trouvé noyé, âgé de 55 ans, en novembre 1827 et inhumé le 18 novembre de la même année. Devenu insolvable, endetté pour une somme impressionnante de 53 509 livres (équivalent à 8 920 $), peut-on penser à une mort volontaire, de désespoir, dû à un égarement d’esprit ? D’où la vocation de son fils ?

Sources: Paul-Henri Hudon, Des moulins, une brasserie, une papeterie à Chambly, Document inédit, présenté en décembre 2004, primé par la Fondation Percy-W. Foy. Archives personnelles, actes du notaire René Boileau en 1817.

Illustrations: Le pavillon des femmes à l’asile de Beauport, hôpital St-Michel-Archange, vers 1900.  (BAnQ, Fonds Les Soeurs de la Charité de Québec, P910,S3,D4,P64). Renfermement, Le Monde Illustré, 2 août 1884.

Références. André Cellard, Histoire de la folie au Québec de 1660 à 1850. Éditions du Boréal, 1991. Recension par Guy Grenier dans la RHAF, vol 45, no 3, hiver 1992.  André Cellard, Dominique Nadon, Ordre et désordre. Le Montreal Lunatic Asylum et la naissance de l’asile au Québec. Dans RHAF, vol 39, no 3, hiver 1986.