La déformation des mots. Quand le toponyme Bel Ail devient Beloeil

Paul-Henri Hudon

HISTOIRE – Qui, à l’origine de la colonie, a dénommé les lieux vierges ? Qui a donné son nom aux rivières, aux lacs, aux collines, aux aspérités d’un nouveau territoire (les côtes, les iles, les pointes de terre) ? Les découvreurs, les explorateurs. Oui. Pourquoi pas aussi les seigneurs ? D’où provient aussi la déformation des toponymes ? Comme Mont-Royal qui disparait pour Montréal. La rue Burgoyne se transforme en Bourgogne. Sagné (Saguenay), Gachepé et Gaspay (Gaspé), Rivière-Ouelle s’écrit en 1774 Rivière Ovale (!). Des dérives orthographiques.

Ainsi la “Petite rivière de Montréal” dénommée en 1964 rivière L’Acadie, avait porté le nom de “rivière Moral“, “Petite rivière Morale”, et “rivière des Morales“, en référence sans doute à Quentin Moral, sieur de St-Quentin. Celui-ci avait été le beau-père adoptif des enfants Hertel de la première génération. Serait-ce donc le seigneur François Hertel de la Fresnière qui aurait accolé le nom de son beau-père à ce cours d’eau anonyme à l’époque ? (Registre des sépultures de St-Joseph-de-Chambly, 10 avril 1792, 2 mai 1792. Le curé Bédard écrivait en 1806: “Il faudrait descendre environ d’une lieue plus bas et placer l’église sur la rivière des Moralles“. (Archives du diocèse de Saint-Jean-de Québec. Doc 1A-18. Lettre du curé de Chambly à Monseigneur). Le journal L’Écho pu Pays écrit le 10 juillet 1834 que “M. Kelly s’est noyé hier en se promenant en canot dans le <petite rivière Morale>”.

Nous soutenons aussi l’hypothèse que le toponyme Beloeil puisse provenir d’une mauvais écriture, ou d’une mauvaise lecture de “Côte de Bol Hail” (ou Bel Ail). (Notaire Adhémar, 19 juillet 1678, pièces no 52 et 136). Le premier à officialiser ce nom.  Quant au notaire Marin Tailhandier, il écrit “Bel Hair” (4 septembre 1700). René Boileau utilise le nom Bel Ail en 1808, en 1809; le 20 mars 1817. Le tabellion Basile Larocque fait de même le 8 avril 1839. Les curés de Chambly, Jean-Jacques Berthiaume et Jean-Baptiste Bédard écrivent “Bel Ail” au cours des années 1805 à 1815. Chacune de ces appellations réfère à la localité aujourd’hui reconnue sous le nom de Beloeil. On lira encore “Saint-Jean-Baptiste de Bel Ail” (René Boileau, 16 février 1808), “Saint-Mathieu de Bel Ail” ( René Boileau, 20 mars 1817), “Au rapide de Bel Ail” (René Boileau, 9 octobre 1821). “Bel Ail” (Registres de Saint-Joseph, 11 février 1850). “La mort de M. Fréchette l’avait affecté, la nomination à la cure de Bel Ail, qu’il désirait, lui est restée sur l’estomac, comme il l’a assez témoigné; mais la mort de M. Lanctot l’a achevé”. (Archives du diocèse de Saint-Jean-de-Québec, Doc 1A -39. Lettre de Jean-Baptiste Bédard à Monseigneur, le 19 mars 1816).

Rappelons qu’il existe un espace nommé “Ile à l’Ail” (qui n’est pas une île) dans la paroisse de Saint-Mathias. À croire que cet alliacé poussait naturellement sur les côtes du Richelieu. Ainsi il n’est pas étonnant que l’appellation “côte de Bel Ail” et le nom “Beloeil” puissent provenir de ce bulbe odorant. L’historien Pierre Lambert dénie l’hypothèse que le nom Beloeil ait été emprunté à la ville belge du même nom.  Il réfute les affirmations, dont celles de Léon Dewinne et d’Eugène Achard. (Les Cahiers d’histoire, no 12, octobre 1983, page 17; No 13, février 1984, p. 17. Société d’histoire de Beloeil-Mont-St-Hilaire, no 18, octobre 1985, p. 3).

Illustrations: Registres paroissiaux de St-Joseph de Chambly: noyade d’Ignace Pinet dans la petite rivière des Morales, le 2 mai 1792. Le 25 septembre 1797, mariage de Pierre Chapoux de la paroisse de Bel Ail.