La colonne de tempérance devant l’église Saint-Joseph-de-Chambly en 1841

Paul-Henri Hudon

HISTOIRE – Il y a de ça 180 ans. En 1841, la colère qui avait présidé aux assauts armés de 1837 et 1838 n’est pas dissipée. À preuve les tragiques élections de mars 1841, dans les comtés de Chambly et de Rouville, qui connaitront des beuveries, des bastonnades et des assauts sur les bureaux de scrutin, même un meurtre (Julien Choquette). Les Patriotes entendent bien maîtriser encore le processus électoral. Ils se proposent de remplir les boites de scrutin. Pendant que le gouverneur et sa clique tentent, comme auparavant, de rafler tout le vote au bénéfice de leurs candidats.

Non seulement le gouverneur “parachute” ses aspirants députés dans les comtés , il décrète des lieux de scrutin très éloignés des villages,  à forte domination anglophone, et il nomme des responsables de bonne allégeance. De plus il met à contribution un bon nombre de fiers-à-bras, plus aptes à manier le bâton que le crayon. Melchior-Alphonse de Salaberry, l’homme de paille du gouvernement, s’opposera dans Rouville à Timothée Franchère, le patriote résolu. Dans Chambly, John Yule est “mis en avant par le party tory” contre Louis-Michel Viger, ardent patriote. Dans les deux comtés, les suppôts du gouverneur remporteront la majorité des voix. Les deux perdants déposeront des requêtes pour faire invalider les élections, invoquant des échauffourées, des violences et des opérations illégales. Surtout des tavernes et des hôtels, à bars ouverts, où on liquidait les allégeances. Inutile d’évoquer l’exaspération et le ressentiment dans les chaumières !

En même temps, suite à la défaite des Patriotes de 1837-1838, l’Église catholique pavoise, triomphe. Elle en sort comme vainqueur. Mais, elle est inquiète. On écrit: “le nombre de <pascalisants> accuse des écarts considérables. En 1839, 38 % dans la paroisse Notre-Dame, 45% à Sainte-Scholastique et 51 % à Saint-Benoit. À Saint-Denis en 1853, selon le curé de la paroisse, 300 personnes n’ont pas fait leurs pâques dans le temps fixé, soit 15 % des communiants”. (Atlas historique, p. 44).

Arrive alors en mission apostolique au Canada, Mgr Charles-Auguste-Marie-Joseph de Forbin-Janson (1785-1844) évêque français de Nancy. On le trouve à Chambly le 6 juin 1841, où il érige une croix (colonne) de tempérance devant l’église. En octobre, il fera dresser une croix monumentale sur le mont Saint-Hilaire : « Il voulait en faire un monument grandiose, à la fois religieux et national. Grâce au savoir-faire d’un menuisier de Beloeil et à des corvées, la croix put enfin s’élever, haute de 100 pieds, large de 6 et épaisse de 4 et recouverte de métal. Des ornements éclairaient l’intérieur et des échelles permettaient d’en faire l’ascension. On l’inaugura et on la bénit en grande pompe le 6 octobre 1841 ». (L’Aurore des Canadas, 21 septembre 1841).

Le même évêque français fera ériger des colonnes de tempérance à Saint-Denis-sur-Richelieu (N’est-ce pas symbolique ?), à Beauport, à Sainte-Anne-de-Bellevue et ailleurs. Sa mission vise à la réorganisation politique de l’Église catholique au Canada après l’échec des rébellions. Il avait reçu du pape Pie VII en 1814 la mission d’évangéliser à nouveau la France, devenue impie à ses yeux par suite des excès révolutionnaires… Des missions de restauration, une croisade au moyen de la sobriété et de l’abstinence.

Illustration: La croix (colonne) de tempérance devant l’église de Chambly. Gracieuseté de Louise Chevrier. La croix est disparue. Seul subsiste le socle qui porte en 2021 une statue du Sacré-Coeur.

Références:   Courville, Serge et Séguin, Normand; La Paroisse, dans Atlas Historique, P.U.L. 2001.