Jukebox: le producteur Denis Pantis fait l’objet d’un documentaire

Pierre-Yves Faucher

MUSIQUE – Dans le domaine de la musique, les producteurs et les gérants ont toujours œuvré en arrière-plan des artistes qui de leur côté occupent le devant de la scène. C’est donc assez rare qu’ils puissent faire l’objet d’un documentaire.

« Jukebox : un rêve américain fait au Québec » est une comédie musicale documentaire qui nous présente le parcours artistique et entrepreneurial du montréalais Denis Pantis (né Dionysos Spiros Pantis). Cette production signée par les scénaristes, producteurs et réalisateurs Eric Ruel et Guylaine Maroist (Les productions de la ruelle) vient tout juste d’être rendue disponible sur les principales plateformes numériques et en format DVD.

Après avoir clôturé les Rendez-vous Québec cinéma en mars dernier, la carrière du film en salle a été brève en raison de la multiplication des zones rouges à mesure que la pandémie prenait de l’ampleur.  J’avais beaucoup aimé leur film « Expo 67 Mission impossible » qui m’a fait revivre plein de beaux souvenirs tout en m’informant sur ce gigantesque projet d’ingénierie et de logistique. J’étais donc en confiance en abordant Jukebox.

Le documentaire fait un survol de la carrière de M. Pantis qui participe également à la narration. Les principaux artistes qu’il a découverts et qui sont encore parmi nous contribuent également à évoquer le climat social et artistique de l’époque. L’approche est divertissante, très musicale et informative.

Le chanteur laisse la place au producteur

Après avoir tenté une carrière de chanteur sous le nom de Dante, il s’est réorienté vers la production parce que le succès n’était pas à la hauteur de ses attentes.  Denis Pantis se consacra alors corps et âme à la découverte de nouveaux talents.

Son flair, son workaholisme, son entêtement et son ambition de devenir le meilleur producteur (la position numéro 2 des palmarès ne l’intéressait pas), lui ont permis de bâtir une industrie musicale et un star-system quasi inexistants au début des années 60.

Stimulé par des succès instantanés et appréciés par un nouveau public, cette présence de nouveaux artistes comme Michèle Richard (Les boîtes à gogo), Renée Martel (Liverpool) et Robert Demontigny (Un baiser de toi) a eu aussi des effets collatéraux positifs sur l’économie de ce secteur qui entraîna la création de journaux artistiques (Télé-Radiomonde, Échos Vedettes), d’émissions de radio (libérée du joug du clergé dans certaines stations) et de télévision consacrés à la musique dont la très populaire « Jeunesse d’aujourd’hui ». Tout le monde nourrissait tout le monde.

Une des tâches colossales que s’imposait Denis Pantis était d’écouter tous les titres du Billboard 100 chaque semaine afin de trouver les chansons à adapter en français et de les jumeler à l’interprète masculin ou féminin qui pouvait lui offrir la première position des palmarès. Son sens des affaires ne l’a pas laissé tomber souvent.

Une musique francophone nord-américaine

Les jeunes dans les années 60 écoutaient bien sûr tous les courants musicaux de l’époque. Que ce soit l’invasion du rock britannique, le folk de la côte ouest (San Francisco) et le rock’n’roll américain né au milieu des années 50.

Cependant, pour les jeunes du Québec, les artistes étrangers leur paraissaient bien loin, inatteignables. En traduisant des succès internationaux, surtout américains, Denis Pantis donnait aux jeunes francophones des références dans leur propre langue, des chansons qui sonnaient la nord-américanité en français. Les jeunes avaient la possibilité de rencontrer les nouvelles vedettes québécoises dans les magasins de disques et d’obtenir facilement des autographes. Proches des yeux, proches du cœur.

En plus des interprètes, des groupes se sont formés. Ils jouaient leurs propres instruments et rivalisaient d’imagination pour se trouver une « gimmick ». L’épicentre se trouvait à Saint-Hyacinthe avec les Sultans, les Aristos, les Lutins et les Hou-Lops. Cependant, Denis Pantis ne ménageait aucun effort pour les trouver partout en province.

Une musique rassembleuse pour les jeunes

Au temps du vinyle – 45 ou 33 tours, une tradition s’est établie par les jeunes lorsqu’un nouveau disque sortait, soit se regrouper pour l’écoute de la nouveauté. Steve Barry, un auteur-compositeur-interprète de Chambly, qui touche à tous les styles dont le country et le rétro, évoque ce que cette musique signifiait pour la jeunesse de cette époque. « Pour moi la musique des années 60, ça représente une grande communion. C’était la première fois qu’il y avait une émission à la télévision qui s’adressait aux adolescents avec Jeunesse d’aujourd’hui, ce qui a permis de créer une microculture en majeure partie basée sur ce qui se passait à l’extérieur. »

Il arrivait tout de même que les adaptations s’éloignaient de l’original pour se l’approprier selon le marché local. M. Barry y fait allusion. « Il y a eu quand même des adaptations uniques, comme le Yaya interprété par Joël Denis qui ne ressemblait pas du tout à l’original et qui a été associée à une nouvelle danse. Tout ça avait un effet rassembleur, il y avait un esprit de communion. Les gens s’assoyaient devant le téléviseur ou s’entassaient dans une salle pour y danser au rythme des groupes de l’heure. C’est ce qui a permis à la jeunesse d’avoir une identité bien à elle. »

Steve Barry

Pour prouver toute la force de séduction des groupes locaux, on pouvait reprendre une chanson française qui était numéro 1 au Québec, la faire endisquer par un groupe populaire et la détrôner en tête du palmarès. C’est ce qui est arrivé à la chanson « La poupée qui fait non » du français Michel Polnareff enregistrée par Les Sultans, sans vraiment la modifier. Un autre tour de force de la machine industrielle locale qui ne manquait pas d’audace.

Les Sultans

Des efforts étaient consacrés également à protéger le commerce de cette microculture, pour en quelque sorte faire travailler les artistes d’ici. On a fait preuve de protectionnisme ou d’embargo, on s’en doute, avec la complicité des stations de radio. Dans certains cas, les productions françaises étaient adaptées sans que la chanson originale tourne au Québec. Un exemple parmi tant d’autres, « La plus belle pour aller danser » était chantée par Sylvie Vartan en France, mais popularisée ici par Michèle Richard.

Les vedettes en tournée

Dans les années 60, les principales villes du Québec ont été visitées par les tournées Starovan, commanditée par la station de radio CJMS et Musicorama qui rassemblaient des dizaines d’artistes interprétant leur succès au cours d’une brève apparition d’une vingtaine de minutes. Les spectacles donnaient une bonne idée du paysage musical yéyé de l’époque.

Quelques décennies plus tard, quand tout le monde croyait que la musique yéyé et rétro était enterrée, la Tournée des idoles dans les années 2010 remplissait à nouveau les grandes salles du Québec.

Par exemple, en 2013, les septuagénaires de la chanson et quelques chanteuses et chanteurs dans la soixantaine comme Gilles Girard (Les Classels), Michèle Richard, Patsy Gallant, Pierre Sénécal, Michel Stax, Claude Valade et quelques artistes français comme Claude Barzotti, Gérard Lenorman, Enrico Macias et Sheila étaient accompagnés de quatorze musiciens au Centre Vidéotron à Québec devant 15 000 personnes. Une musique « underground » ? Pas tant que ça.

Jukebox : Un rêve américain fait au Québec est maintenant disponible sur Apple TV et iTunes ou en DVD, BLU-RAY et VSD. Vous pouvez également le commander sur le site Les productions de la ruelle à l’adresse

https://productionsdelaruelle.ca

Photographie d’archives en haut de page de Denis Pantis et Michèle Richard : JukeboxLeFilm.com et LaRuelleFilms.com