Tenir un scrutin autrefois. Un exercice ouvert, public, mais risqué

Paul-Henri Hudon

HISTOIRE – Il faut aujourd’hui savoir lire et écrire pour voter, seul, discrètement, derrière un trapèze en carton. À l’origine, nos ancêtres illettrés procédaient à aire ouverte, en franc public, solidairement, au vu et au su de tous. La votation pouvait durer deux jours. Et elle se tenait à des dates différentes selon les comtés. Un seul bureau de votation par comté, au chef-lieu. À Longueuil, pour l’élection de juillet 1792.

C’était simple. Debout, à gauche tous ceux qui votaient “rouge”; à droite tous les supporteurs “bleus” ! Telle était la procédure sommaire pour répartir les partisans. On se levait, on comptait les têtes ou on levait les mains (show of hands). Le groupe majoritaire désignait l’élu. Il arrivait aussi que le greffier lisait à haute voix devant les électeurs des articles de la loi anti émeute. Toute cette procédure pouvait se tenir à l’extérieur, devant le bureau de votation, ou dans une salle publique comme un hôtel. À la suite du décompte, si l’un ou l’autre des candidats demandait un “poll“, c’est-à-dire un enregistrement des votes, l’officier rapporteur et un greffier inscrivaient alors les noms des électeurs présents.

Ce truc s’appelait “faire la division”. Pratique dangereuse. Ainsi “l’aspirant candidat (Joseph-Napoléon) Poulin (1821-1892), avant que les auditeurs eussent laissé la place de l’église à Marieville, eut la gaucherie de <faire faire la division des partis>“. (Le Pays, 12 septembre 1867). Cette sorte de sondage préalable affichait les tendances et stimulait les partisans déjà échauffés. Débutait alors le maraudage intensif à la recherche de purs votants favorables.  Le docteur Poulin fut élu en 1863, mais battu à l’élection de 1867.

Les 22 et 23 mars 1841, l’élection du comté de Chambly s’est tenue à un “poll” unique situé à St-Jean (Dorchester). “Le premier jour de l’élection, quand le <returning officer> demande aux électeurs présents le nom de celui qu’ils voulaient désigner comme représentant, la grande majorité, à la vue des mains levées (on the show of hands), s’est déclarée en faveur de M. Viger. Sur ce, un “poll” fut demandé par les partisans de John Yule et accepté par l’officier rapporteur, qui a commencé à enregistrer les votes des électeurs.”  “Le lendemain, le dit John Yule, en vue d’empêcher tous et chacun des électeurs favorable à Viger d’accéder au poll, a obstrué et bloqué par le moyen de “boulés” (bullies), armés de gourdins et d’autres armes, les chemins publics provenant de toutes les régions du comté de Chambly en direction du “poll.” (Debates of Legislative Assembly, Thursday, June 17, 1841, pages 152 à 155).

John Yule (1812-1886), candidat désigné par le gouverneur tory Sydenham, fut déclaré député par 129 voix, contre 119 pour le cousin de Louis-Joseph Papineau, le patriote Louis-Michel Viger (1785-1855). Le perdant demandera de faire invalider toute l’élection de 1841. Mais la Chambre d’Assemblée, pour des raisons techniques, n’a pas donné suite à la requête de Viger. Le chamblyen John Yule démissionnera en 1843 avant la fin de son mandat.

L’illustration couleur rappelle un peu  la tenue d’un scrutin dans les années naissantes de la démocratie élective. Précisons qu’il n’y a pas de femmes qui pouvaient voter. Seulement des hommes, et même seul l’homme propriétaire d’un bien-fonds respectable, un franc-tenancier.  Ce qui excluait les locataires, les fils du propriétaire, les tenanciers infortunés et tous les “emplacitaires” détenant des lots de village. On ne prêtait pas serment. On ne justifiait pas sa qualification, on ne fournissait pas de preuve d’identité. Il n’y avait pas de liste électorale.