OK Computer, 20 ans plus tard

“Fitter, healthier and more productive. A pig in a cage on antibiotics.”

Le dernier vers de l’atypique Fitter Happier frappe de plein fouet. Le ton est machinal. La voix artificielle, que l’on doit au logiciel de synthétisation vocale du Macintosh LC II s’éteint dans un krach apocalyptique. Le cri d’alarme est lancé.

En faisant référence au cochon en cage sous l’effet d’antibiotiques, le parolier Thom Yorke vient alors de pondre une allégorie coup-de-poing, qui prendra tout son sens quelque vingt ans plus tard. Car plus que jamais, en 2017, l’homme est en surpoids, prisonnier de son iPhone et dépendant de nouveaux médias de masse qui lui permettent de sublimer sa vie à coups de filtres Instagram.

Exit Britpop

Le 21 mai 1997, dix ans presque jour pour jour avant la parution du tout premier iPhone, venait au monde OK Computer. Album phare du quintette d’Oxford, ce chef-d’œuvre monumental allait bousculer la planète rock, et redéfinir les standards d’une scène musicale jusqu’alors dominée par la Britpop.

D’une lucidité viscérale, mais jamais cliché, OK Computer a questionné les grands entendements, critiqué les aléas du modernisme, la stagnation politique, les orientations néolibérales, la marchandisation du citoyen.

Ce qui devait être un suicide commercial aux yeux des bonzes de l’industrie aura finalement marqué l’imaginaire. Bien que profondément ancré dans la réalité du temps, le troisième opus de Radiohead allait quasi instantanément s’inscrire dans la légende, à coups de Karma Police et de No Surprises.

La pièce la plus aboutie demeure néanmoins la schizophrénique Paranoid Android, largement inspirée des opéras rock des années 70. Yorke y chante « Ambition makes you look pretty ugly », en référence à tous ceux qui ont profité de la déréglementation des marchés au terme des années 80, et qui en ont abusé. Tantôt planante, tantôt éclatée, elle demeure le parfait échantillon d’un album qui, vingt ans plus tard, n’a pas pris une seule ride.

Succès d’estime, influence inouïe

Rares sont les succès d’estime qui ont joui d’une telle notoriété auprès du grand public. Acclamés par la critique, les membres de Radiohead n’auront par la suite jamais plus cessé d’innover.

Avec Kid A, à l’automne 2000, ils allaient une fois de plus repousser les limites, et donner le ton à une décennie de musique fortement teintée par le rock alternatif/indépendant.

Si les œuvres influentes demeurent la plupart du temps relativement méconnues de la masse, il en est tout autrement des principales réalisations du groupe anglais. Force est d’admettre qu’ils ont ainsi réussi, là où beaucoup échouent, à faire rayonner du matériel de très grande qualité.

La fin d’une époque ?

Avec le recul, OK Computer aura peut-être été le dernier d’une longue et florissante lignée d’albums concepts à grand déploiement. Initiée trente ans plus tôt par le révolutionnaire Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band des Beatles, cette vague allait perdre de son lustre au tournant du siècle dernier, victime des grandes révolutions technologiques.

Qui plus est, Radiohead a marqué en 1997, la fin d’une époque. Les bouleversements numériques du nouveau millénaire auront par la suite complètement remodelé notre rapport à la consommation, et nous ont depuis conditionnés à l’instantanéité, au jetable.

Julien Adam-Gagnon