Le monument funéraire de Salaberry à Chambly. Une histoire singulière.

Paul-Henri Hudon

HISTOIRE – Tout monument funéraire dans tout cimetière porte son histoire bien personnelle. Mais il en est un à Chambly qui est particulier, celui du lieutenant-colonel  Charles-Michel de Salaberry (1778-1829). La stèle funéraire n’indique pas le lieu d’une sépulture. Voici les faits.

Charles-Michel  de Salaberry décède subitement en 1829, sans avoir précisé ses intentions dernières. Or, le curé de Chambly et la famille décident que la dépouille mortelle sera enterrée “dans l’église“. C’était  le 3 mars 1829.

Le corps repose donc encore en 2021 dans le sous-sol de l’église Saint-Joseph, puisqu’il n’y ait jamais eu d’exhumation. Donc, il n’y a pas eu ni stèle, ni épitaphe, ni mausolée pour honorer dans le champ des morts la mémoire du vainqueur de la Châteauguay. (Registre paroissial).

Puis, voila que la veuve de M. Salaberry, dame Marie-Anne-Julie Hertel de Rouville (1788-1855), épouse en 1840 (contre l’avis de ses enfants) le sieur John Glen, au cours d’une cérémonie privée célébrée dans le manoir de la veuve. M. Glen est protestant, et cette sorte de mariage “civil” n’est pas reconnu par l’Église catholique. D’autant plus que John Glen retourne à ses premières amours, à Barranquilla, en Colombie en 1846.

Puis, la délaissée, Mme veuve Hertel de Rouville-Glen, décède à son tour dans la maison de son fils René-Léonidas de Salaberry, à Richelieu. Elle sera inhumée, non pas dans la crypte souterraine de l’église Saint-Joseph, aux côtés son premier mari, mais simplement dans le cimetière commun.

Le curé écrit: “Le 24 avril 1859, nous avons inhumé dans le cimetière de cette paroisse le corps de dame Marie-Anne-Julie Hertel de Rouville, épouse de John Glen, écuyer, marchand de la ville de Barranquilla, en Amérique du Sud… (Registre paroissial).

Plus tard, il y aurait eu des pourparlers pour que soit publicisée à vue la présence mortelle des époux Salaberry au cimetière de Chambly. Voilà qu’une correspondance du curé de Chambly, Pierre-Marie Mignault, trois ans après le décès de Mme veuve de Salaberry, éclaire la situation.

Il écrit, le 10 mars 1862, au colonel Charles-Léonidas de Salaberry, fils des précédents: « Mon cher colonel, j’ai reçu ta bienveillante lettre, ainsi que le contenu. Je l’envoie demain à l’artiste avec l’épitaphe ci-dessous exigé : « À la mémoire de l’Honorable Charles-Michel de Salaberry, C.B. le Héros de Châteauguay, le Léonidas canadien, décédé à Chambly le 27 février 1829, âgé de 51 ans. À la mémoire de dame Marie-Anne-Julie Hertel de Rouville, son épouse, décédée à Saint-Mathias le 20 avril 1855, âgée de 58 ans. Témoignage d’amour filial ».

« Si cet épitaphe te plait, j’en serai charmé. Tendres et respectueux souvenirs.  Au cher colonel et à sa digne épouse que je me flatte avoir rendu heureux l’un et l’autre, il y a déjà quelques années.  Bonsoir, cher Charles. Je vais me coucher, car il est bien tard et je ne sais plus ce que je dis. Adieu donc. Tout à toi.  P. M. Mignault, prêtre. p.s: J’oubliais de te dire que Melle Joséphine a mal à la tête depuis quelques jours. P. M. M ».

Le 9 juillet 1862, Le curé Mignault annonçait au colonel Charles-Léonidas de Salaberry:

« Mon cher colonel. Je t’informe, avec plaisir, que le monument funaibre (sic) du cher père a été déposé ce matin dans le cimetière de cette paroisse. J’ai remis à lundi prochain, le 14, la pose. Je me flatte que tes occupations te permettront de venir saluer ce monument qui doit plaire à tout cœur vraiment canadien et vraiment patriotique. Je te prie d’en avertir le député adjudant général que je salue respectueusement ainsi que sa digne épouse.  Adieu, cher colonel, Votre très dévoué ami, P. M. Mignaut ».

Situé d’abord dans l’ancien cimetière, au nord-ouest de l’église actuelle, le monument fut réinstallé dans le “nouveau” cimetière, inauguré en 1871, à une date inconnue. Le long de l’allée principale. Ainsi, on ne trouvera sous ce monument aucune dépouille mortelle des Salaberry, ni des Rouville. C’est un “Memento“.

 

Illustrations: Le monument Salaberry dans le cimetière Saint-Joseph vers 1900 (auteur et date inconnue) et l’actuel en 1996. Photo personnelle de Paul-Henri Hudon.

Lettres déposées aux Archives du séminaire de Trois-Rivières, 10 mars et 9 juillet 1862. Gracieuseté de Louise Chevrier.