Et les mistrals gagnants…

 

 Charles Fraser-Guay

« Quand on est malade, ça n’empêche pas d’être heureux! » – Tugdual

CINÉMA –  Père de deux jeunes enfants, c’est le cœur gros que nous avons quitté le cinéma Beaubien, une fois le documentaire « Et les mistrals gagnants » terminé. Incapable d’aligner deux mots intelligibles de suite, les yeux rougis (à cause de la poussière, sans doute), nous n’avions qu’un seul et pressant désir : retourner chez nous afin de prendre nos enfants dans nos bras. Deux jours après avoir vu le film, il nous est encore difficile d’y penser  sans être submergé par les émotions.

Ce documentaire, au titre particulièrement bien choisi (la chanson de Renaud est empreinte de tendresse et de nostalgie), est réalisé par Anne-Dauphine Julliand, journaliste et auteure du livre « Deux petits pas sur le sable mouillé ». La réalisatrice retrouve ses thèmes de prédilection. Dans sa vie, elle-même a subi l’impensable, soit la mort de deux enfants en très bas-âge. Par la suite, elle a extériorisé cette expérience traumatisante à travers ses livres. Son leitmotiv est le suivant : ajoutons de la vie aux jours quand on ne peut plus ajouter de jours à la vie. Dans « Et les mistrals gagnants », elle choisit de délaisser son histoire personnelle. Elle donne plutôt la parole à cinq enfants, eux-mêmes atteints de maladies graves et potentiellement mortelles, rencontrés aux quatre coins de la France. À travers son regard empreint de dignité, nous suivons leur parcours avec tendresse et émotion.

Sujet extrêmement délicat, le documentaire aurait pu facilement révulser le spectateur sensible et sombrer dans le sentimentalisme de bas étage; pourtant, rassurez-vous, il n’en est rien. Le film est lumineux et pétillant de vie. Véritables héros du quotidien, nous découvrons avec émotion Camille, Ambre, Imad, Charles et Tugdual dans leur quotidien, entre séjours à l’hôpital et trop bref moments de rémission. Ils nous livrent leurs états d’âme avec une sincérité désarmante. Ces enfants philosophes nous parlent de leur vie avec lucidité et franchise. Sans jamais brusquer ses sujets, la réalisatrice nous fait découvrir l’entourage de ceux-ci et les nombreux professionnels de la santé qui gravitent autour d’eux.

Ces cinq enfants, loin d’être terrassés par le malheur, profitent plutôt du moindre moment de bonheur à leur disposition. Ambre, 9 ans, grande princesse au sourire contagieux, est atteinte d’une hypertension pulmonaire. Son sac à dos, loin d’être décoratif, renferme une pompe reliée à son cœur. Imad, 6 ans, soigné en dialyse, est dans l’attente d’un nouveau rein. Camille, 5 ans, et Tugdual, 8 ans, ont un cancer infantile, soit un neuroblastome. Charles, alias Capitaine Courage, un jeune garçon de 9 ans, plus fort que tous les « Avengers réunis », souffre d’épidermylose bulleuse, une maladie génétique rare. Sa peau est « fragile comme les ailes d’un papillon ». Il vit sous les bandages à longueur de journée. Même un bain devient pour lui un calvaire.

Ces enfants nous rappellent à quel point il y a du merveilleux dans la vie malgré les malheurs et la fatalité. Comme spectateurs, après un moment, nous finissons même par oublier leur maladie lorsque ceux-ci nous parlent de leurs passions. Pour l’un, le piano est une source incommensurable de joie, pour l’autre, c’est le théâtre. L’un est jardinier, un véritable pouce vert, un autre adore les pompiers. C’est dans cette candeur, cet émerveillement quotidien, qu’ils puissent sans doute leur force intérieure.

La réalisatrice, caméra à l’épaule, demeure quasiment invisible. Elle s’efface pour laisser toute la place aux enfants. Point ici de narration, nous entrons simplement dans leur quotidien avec délicatesse et respect. Nous sommes à des lieux de tout pathos racoleur. Anne-Dauphine Julliand ne tombe pas non plus dans une sorte d’angélisme, ou les douleurs et les peines des enfants causées par la maladie sont édulcorées. Elle évite ainsi la plupart des pièges inhérents à l’exercice. À notre humble avis, il s’agit d’un sans-faute de sa part. Ce documentaire restera longtemps gravé dans notre esprit. Seule ombre au tableau, le film aurait pu durer encore plus longtemps. Nous avons eu de la difficulté à nous séparer de ces enfants.

Ce documentaire est une ode incroyable à la vie. La maladie, aussi terrible soit-elle, ne sera jamais  assez forte pour détruire la magie de l’enfance. Voilà, sans aucun doute, la plus belle leçon livrée par ces enfants. On ressort du film ébranlé, partagé entre des émotions diamétralement opposées : les pleurs, la rage face l’injustice de la vie, et pourtant subjugués par l’incroyable beauté de celle-ci. Comme quoi les fins heureuses prennent à l’occasion des détours inattendus et ne se terminent pas nécessairement par le fameux « ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants ».

Laissons, à ce sujet, le mot de la fin à Tugdual, qui résume en une seule phrase le film au grand complet : « Quand on est malade, ça n’empêche pas d’être heureux. »

Charles Fraser-Guay, le critique caustique.