Eric Clapton : A life in 12 bars : Un documentaire sans complaisance sur un survivant !

 Pierre-Yves Faucher

MUSIQUE – Ceci n’est pas une chronique cinéma, mais la sortie prochaine du rockumentaire en format DVD sur la vie d’Eric Clapton m’a tellement interpellé, que j’aimerais partager mes impressions sur ce récit très fascinant à plusieurs égards de la vie de ce musicien que je tiens en haute estime.

Tout au long du visionnement, les émotions que j’ai ressenties ont été teintées de compassion, de mélancolie et de tristesse. Apparemment débarrassé de tous ses démons, sa fin de vie est toutefois heureuse.

A life in 12 bars : une vie de démesure

Quand est venu le temps de décider d’un producteur, Eric Clapton s’est tourné vers Lili Fini Zanuck, une réalisatrice en qui a il avait totalement confiance. Elle avait déjà fait appel à ses services en 1991 pour écrire la bande sonore de son film Rush, son seul long métrage jusqu’à maintenant.

Comme tout est dans tout, elle demande à cet ancien toxicomane d’écrire de la musique pour un film dont l’histoire relate les aventures de deux policiers (narcs) poursuivant un narcotrafiquant (joué par Greg Allman) qui deviennent eux-mêmes toxicomanes. Dans le jargon des toxicomanes, le « rush » évoque le moment ou l’héroïne injectée produit son effet.

En fait de titres de films liés à Clapton, on reste dans la même thématique avec A life in 12 bars. En langage musical, une « bar » est une mesure et un 12-bar blues la grille d’accords la plus emblématique de ce genre musical. Comme titre de film, ce n’est pas très songé, car l’homonyme de bar en français et en anglais est débit de boisson. Je ne sais pas trop…

Mémoire floue et images floues

Je ne sais pas comment Eric Clapton a pu se rappeler des années 70 et une partie des années 80 pour documenter son autobiographie (Clapton par Eric Clapton, Buchet-Chastel, 2007) et ce documentaire, mais il a dû sûrement rappeler ses copains (encore vivants) de l’époque.

En entrevue pour faire la promotion du documentaire, il a déclaré qu’il était parfois gêné de se voir dans certaines scènes souvent tournées à son insu, comme les séances de reniflage de poudre en coulisses ou lors d’un party olé olé.

Les images tournées dans les années 70 que la réalisatrice a pu récupérer proviennent en grande partie de la collection personnelle de Clapton et d’images souvent tournées avec des appareils bon marché, sans bande sonore et probablement manipulés par des musiciens ou roadies sous l’influence de produits qui n’ont rien à voir avec les quatre grands groupes alimentaires.

Ça devient un peu agaçant à la longue, mais ce n’est pas une raison suffisante pour s’en priver. Nous visionnons un témoignage franc et sans complaisance dont la narration est assumée en grande partie par la personne concernée.

Quand ta mère n’est pas ta mère

La grande question pour moi est la suivante : comment a-t-il réussi à survivre physiquement et mentalement aux drames humains et à son auto-destruction dans ce  parcours on ne plus chaotique. Il a déjà déclaré que ses gènes familiaux étaient très musclés. Mais ça n’explique pas tout. Bref bilan.

À 9 ans, il apprend que ses parents sont en réalité ses grands-parents et que sa soeur aînée présumée est sa véritable mère. Il est né d’une mère célibataire âgée de 16 ans, indigne en Grande-Bretagne au milieu des années 40, et d’un soldat canadien de Montréal basé en Angleterre pendant la guerre et démobilisé avant la naissance d’Éric.

Sa mère a par la suite épousé un autre soldat canadien et s’est établie au Canada et en Allemagne. Elle n’a jamais vraiment manifesté d’affection ou d’intérêt envers son fils. Se sentant renié et blessé par ces mensonges et ce manque d’amour maternel, ces événements ont teinté son adolescence et son début de vie d’adulte. Il n’a ainsi plus du tout fait confiance aux adultes. Dans l’ensemble, tout cela forgera sa personnalité d’introverti et il se réfugiera dans l’apprentissage de la guitare.

Les abîmes

Après avoir joint son premier groupe « The Roosters » à 17 ans, Eric « Slow Hand » Clapton, il est devenu membre de différents groupes tels que les Yardbirds, les Bluesbreakers de John Mayall, Blind Faith et Derek and the Dominoes.

Sa carrière de musicien solo a pris véritablement son envol au début des années 70.  Il était déjà un toxicomane et un alcoolique. Ce qu’on respirait dans l’air du temps des années 70 avait beaucoup à voir avec la cocaïne et les états seconds provoquées par les intraveineuses héroïniennes.

À ses dires, il lui en coûtait jusqu’à 16 000 $ par semaine en héroïne pour visiter les paradis artificiels, une consommation faite en solitaire dans son manoir pendant trois ans. Après avoir réussi à s’en défaire en 1974, il s’est tourné vers l’alcool. Sa dépendance à l’alcool et aux drogues durera 20 ans.

Descente aux enfers et rédemption

Tout au long du reste de la décennie et au début des années 1980, son travail a été affecté par son alcoolisme et il en est presque mort.  Au mois de janvier 1982, il s’inscrit au programme de réhabilitation de la Hazelden Foundation aux États-Unis. Il a fait par la suite une rechute et il sera de retour en traitement quelques années plus tard. Les rechutes surviennent souvent quand les gens vivent des événements traumatisants.

Sobre depuis 1987, il aurait pu tomber dans les abîmes encore une fois après le décès tragique en 1991 de son fils Conor âgé de quatre ans. Il canalisa cependant positivement sa grande tristesse en décidant d’apporter son aide aux autres qui souffrent des mêmes dépendances en fondant en 1998 le Centre Crossroads, un  établissement de réadaptation en matière de toxicomanie et d’alcoolisme établi dans l’île d’Antigua dans les Caraïbes.

Un des principes de base de l’institution est de prodiguer des soins pour une partie de la population de l’île qui n’a pas les moyens de payer pour des traitements. Une fondation a été aussi créée pour leur offrir des bourses. Plusieurs autres initiatives ont permis d’amasser des fonds, dont une vente aux enchères en 1999, d’une centaine de ses guitares qui a rapporté presque 5 millions $US. Des concerts bénéfices ont été aussi organisés (entre autres quatre festivals Crossroads dont les profits de l’événement et de la vente des DVD allaient directement dans les coffres du Centre Crossroads.

L’histoire finit quand même assez bien. Il continue à 73 ans à donner quelques concerts par année à Londres et à New York et il apprécie sa vie familiale avec sa deuxième épouse Melia McEnery depuis 2002 et leurs trois enfants. Il a également une autre fille Ruth Kelly-Clapton issue d’une liaison qu’il a eue avec Yvonne Kelly en 1985.

Il a ralenti ses activités en raison de ses problèmes de santé (acouphènes et neuropathie périphérique) causés par l’usure du temps. Comme le chantait notre Gerry national : Toujours vivant !

Apartés claptioniens :

L’origine du surnom « Slow Hand » 

En spectacle avec les Yardbirds au début des années 60, il ne changeait pas de guitare lorsqu’il brisait une corde. Il remplaçait la corde en demeurant sur scène. Pendant ce temps, la foule tapait des mains à un rythme lent, ce qu’on appelait le Slow Handclapping.

Clapton is God

Graffiti peint au milieu des années 60 dans une station de métro de la grande région de Londres par supposément un admirateur de son jeu guitaristique alors qu’il faisait partie du groupe des Bluesbreakers de John Mayall. Cependant, il a révélé en 2016 qu’il croyait que le graffiti était l’oeuvre d’un employé du gérant des Yardbirds dans le but de faire la promotion de leurs prestations au Crawdaddy Club à Richmond.

C’était la période de sa jeune carrière où sa réputation de virtuose prenait rapidement de l’ampleur sur la scène blues britannique. Cette phrase sera peinte également dans d’autres quartiers de Londres. La légende ne fit que s’amplifier avec une photographie d’un de ces graffitis qui a été largement diffusée partout dans le monde.

En entrevue à l’émission 60 Minutes with Ed Bradley en 1999, il déclara qu’en prenant connaissance de cette affirmation, il s’est dit à la fois dégoûté et flatté. « À cette époque, j’étais un égocentrique doublé d’un complexe d’infériorité. Ainsi, j’aimais attirer l’attention tout en n’aimant pas attirer l’attention ».  Je crois bien qu’il se serait contenté de « Clapton is Good ».

Bien que le documentaire soit déjà disponible sur différentes plates-formes en ligne, la version DVD est prévue pour le 8 juin prochain.

Les essentiels

En fait de discographie et de DVD, difficile de choisir. Voici quelques pistes dans le désordre.

CREAM – LIVE AT THE ROYAL ALBERT HALL (2005)
UNPLUGGED (1992)
FROM THE CRADLE (1994). Un album consacré entièrement à ses héros du blues.
RIDING WITH THE KING (2000) Gagnant d’un Grammy dans la catégorie Meilleur album de blues traditionnel avec le roi des rois B. B. King
ME AND MR. JOHNSON (2004) album hommage à Robert Johnson
Les quatre CD et DVD du Festival Crossroads (New York, 1999, Dallas, 2004 et Chicago, 2007 et 2010) pour un mélange de rock, de blues, de bluegrass et de country.