En attendant Gadot[i]

Chers lecteurs, chères lectrices, comme vous le savez, à cause d’un futile pari perdu, nous fûmes contraints d’accepter un rendez-vous au cinéma afin de regarder Wonder Woman. Cette sortie devait se faire en compagnie de la gagnante dudit pari.

Contrairement à ce que vous pourriez d’emblée croire, malgré notre absence de droit de regard dans le choix du film, nous étions plutôt joyeux de quitter, même brièvement, notre sous-sol. Les critiques élogieuses et la campagne publicitaire centrée sur l’aspect féministe de l’histoire avaient titillé notre curiosité initiale. Bref, aussi étonnant que cela puisse paraître, le caustique acidulé en nous avait été remisé pour l’occasion.

Nous nous sommes donc présenté au cinéma d’un pas relativement guilleret, en sifflotant un air connu, celui du « Parrain ». La demoiselle nous attendait devant le portique du bâtiment. En la voyant, notre confiance de façade s’envola d’un trait et nous fûmes tentés de tourner les talons.

Désireux de respecter notre parole, nous réussîmes à réfréner nos peurs. Une femme avec une telle connaissance cinématographique devait forcément être d’agréable compagnie, avons-nous pensé. Nous parvînmes donc, dans un état second, à la saluer de la main. Elle parut circonspecte de nous voir arriver en cravate (pour cette sortie, nous avions choisi notre plus belle, celle de Star Wars, avec la bouille sympathique de Yoda en plein centre).

Loin d’en être amusée, la demoiselle fronça les sourcils et fit verbalement savoir sa désapprobation. Elle jugea notre choix vestimentaire douteux et gênant, ce qui ne manqua pas de nous frigorifier sur place.

À notre grand désarroi, le rendez-vous débutait dans les caniveaux de la bonne entente. Mal à l’aise, nous baragouinâmes une explication inintelligible pour justifier ladite cravate. La demoiselle posa alors sa main sur notre épaule et éclata de rire. Sans rien ajouter, elle rabaissa alors l’une des bretelles de son chandail, nous faisant rougir de la tête au pied, et laissa entrevoir son soutien-gorge. Nous vîmes alors que celui-ci était agrémenté de petits R2D2 de couleur… Incroyable!

Par un curieux hasard du destin, nous comprîmes que nous avions croisé le chemin de l’une des plus grandes starwarsiennes de la Montérégie. Stupéfait par cette révélation, nous fûmes pris, l’un et l’autre, d’un interminable fou rire. Elle me pointa l’heure sur sa montre et ensuite le cinéma tout en déclarant: Chico! Mets la gomme!!! Dès lors, émerveillés par cette réciprocité de pensée, nous nous sentirent comme un frère et une sœur cosmique.

Tout en marchant, la demoiselle nous expliqua alors la raison de son intérêt récent pour Wonder Woman. Elle voulait vérifier si le film était féministe, comme l’avait laissé sous-entendre une amie montréalaise. Cette amie lui avait mentionné que le contenant l’était, mais pas le contenu. Notre sœur cosmique énuméra un certain nombre de statistiques sur la place des femmes au cinéma. Nous apprîmes que le pourcentage de réalisatrices recensées à Hollywood était de 9 pour cent.

Ce chiffre stupéfiant nous aurait paru plus réaliste en Arabie Saoudite. Elle nous expliqua aussi que 26 pour cent des actrices faisaient des scènes nues ou partiellement nues alors que pour les hommes, ce n’était que 9 pour cent. Nous l’avouons bêtement : nous portâmes d’abord peu attention à ces explications. Nous eûmes plutôt la vision fugace de l’amie en question, en poncho, près du cégep du Vieux-Montréal et scandant à tue-tête : so, so, so, solidarité.

Peu férus de la chose, nous lui fîmes part de notre méconnaissance générale du féminisme. Loin d’en être offensée, notre accompagnatrice nous fit alors, malgré nos vaines tentatives de changer de sujet, un cours d’histoire 101 sur le droit des femmes.

Notre discussion sur Star Wars nous sembla soudainement très loin. Après ce succinct exposé de 30 minutes, étourdi et un brin fatigué, nous osâmes poser la question à ne pas poser en pareille circonstance. Nous sentîmes notre bouche se mouvoir indépendamment de notre volonté et nous nous entendîmes dire : est-il vraiment nécessaire au Québec, en 2017, de poursuivre « le combat »? Notre société n’est-elle pas égalitaire?

Malgré la vacuité de notre interrogation, notre nouvelle amie féministe resta maîtresse de ses émotions. Tout en gardant le sourire, elle mit respectueusement en miette notre argumentaire, en s’étonnant d’abord de nous voir émettre une opinion sous la forme de questions, alors que nous venions de lui faire part de notre ignorance du sujet. Nous comprîmes alors ce qu’avait pu ressentir lord Cardigan lors de la dernière charge de la brigade légère. Sans ressentir de frustration particulière, elle nous expliqua avec aplomb pourquoi elle se considérait comme féministe. Marie-France Bazzo devrait l’écouter, avons-nous pensé en ressentant soudainement, à notre plus grand étonnement, le goût de « la lutte ».

Selon elle, l’égalité homme-femme demeurait un enjeu majeur. Elle fit valoir, à titre d’exemple, que dernièrement l’INSEE avait calculé qu’à poste égal, le salaire de l’homme était 14 pour cent plus élevé que celui de la femme. Notre starwarsienne nous parla aussi de la culture du viol et de la notion de consentement libre et éclairé, deux sujets d’actualité, disait-elle. Elle termina son discours en nous expliquant qu’une femme sur trois avait été, au Québec, victime d’une agression sexuelle.

Ce chiffre, bien que réel, nous sembla pourtant intangible, comme si nous étions incapables, comme homme, de l’accepter. Nous restâmes ensuite silencieux le temps d’acheter les billets. Tous ces chiffres nous avaient passablement secoués. Se pouvait-il que nombre de nos congénères fussent aussi idiots? Gênés, nous lui avouâmes avoir écrit une blague un peu misogyne dans notre critique du film « La momie ».

Voyant notre air déboussolé, elle éclata de rire, encore une fois. Être féministe ne signifiait pas tomber dans la rectitude politique et éviter de rire les uns des autres, s’exclama-t-elle.

Dans la salle de cinéma, notre sentiment d’ivresse d’être en compagnie d’une si charmante personne, féministe de surcroît, s’estompa brusquement par un événement totalement imprévu, extérieur à notre emprise.

Nous eurent la malencontreuse idée de nous asseoir près d’un groupe de garçons amateurs de popcorn bien gras et utilisant le texto comme arme de dérangement massif. En moins de temps qu’il n’en faut pour crier « what the fuck », nous furent incapables de poursuivre notre conversation.

Les nombreux glapissements sonores du troupeau de «douchebags» nous donnèrent l’impression d’assister à un concert de Metallica. Faute d’alternative, nous fûmes obligés, à notre corps défendant, d’écouter leurs discussions stériles et inintéressantes. Il fut question de « pitounes », de « chars » et de « pitounes de chars ».

Linguistiquement parlant, leur langage fleuri, mais néanmoins sans dentelle nous donna mal à la tête. Ils parlaient un dialecte inconnu, un mélange de français et d’anglais inintelligible. Les lumières finirent enfin par se fermer dans la salle et les bandes-annonces débutèrent dans une orgie de lumière.

Nous eûmes naïvement espoir qu’ils se taisent, mais notre espoir fut rapidement déçu. De plus en plus contrariée, notre accompagnatrice, une veine palpant au niveau de son front, leur demanda poliment de rester silencieux, par respect pour les autres. Nous opinâmes de la tête pour la soutenir.

Les « douchebags » sauvages nous regardèrent avec mépris puis se mirent à jacasser de plus belle. Après deux bandes-annonces, ils commencèrent à crier « shit c’est long », « bro », nous on veut voir Gal Gadot à poils » !

Par grandeur d’âme, nous eûmes envie de leur expliquer que les actrices hollywoodiennes, grâce à l’épilation laser, avaient maintenant fort peu de poils, mais une dame à notre droite, accompagnée de son petit garçon, nous déconseilla fortement d’entrer en contact avec ces imbéciles.

Amusé par notre réaction, l’un des « douchebags », avachi sur un siège juste devant nous, se retourna et fit un clin d’œil à notre accompagnatrice. « Tchéké la t’chick, man ‘est fru ». Ses amis excités firent des « ohhhhhhhhhhh » faussement accablés. Ensuite, Dieu sait pourquoi, le garçon, probablement dépourvu de lobe frontal, se leva d’un bon et commença à faire des gestes suggestifs en direction de notre accompagnatrice son t-shirt V-Neck mis bien en évidence.

Se pensait-il dans « Fifty shades of grey »? Nous repensâmes aux statistiques énoncées plus tôt par notre amie lors notre discussion sur le féminisme. Finalement, elles nous parurent hautement crédibles. Nous voulûmes répondre à cette provocation, mais l’homme banda ses muscles tatoués et les mots restèrent coincés au fond de notre gorge.

Un froncement de sourcil nous parut finalement suffisant pour faire valoir notre indignation. Notre starwarsienne, visiblement moins timorée que nous et peu dispo à se laisser intimider, lança alors un florilège d’insultes à connotation religieuse au visage du garçon.

Le « douchebag », encore plus idiot que nous l’avions d’abord estimé, prit ces injures pour une marque d’intérêt. Il approcha son visage de notre belle amazone et tenta de l’embrasser. Dans la salle de cinéma, tous les yeux étaient braqués dans notre direction. Les spectateurs retenaient leur respiration, sans oser intervenir.

Puis, comme au ralenti, notre accompagnatrice, avec un sang-froid digne de maître Miyagi, agrippa la boisson gazeuse extralarge du petit garçon à sa droite et envoya d’un coup sec son contenu au visage du « douchebag impoli ». Le liquide noir inonda son visage, tacha son t-shirt et sa casquette et se mit à dégoutter le long de sa barbe.

L’homme laissa échapper un petit cri aigu fort peu masculin. Loin de se détourner, mon accompagnatrice croisa les bras et le fusilla du regard. Des applaudissements se firent alors entendre dans la salle de cinéma.

-Maudite folle!, beugla le baigneur sans oser répliquer. Il se leva prestement et quitta la salle, sans doute pour se diriger vers les toilettes. Nous restâmes quelques secondes à regarder notre accompagnatrice. Cette femme ne cessait de nous surprendre. Nous eûmes l’impression que tout ce qu’elle nous avait expliqué dans la file d’attente venait brusquement de prendre tout son sens.

Les pleurs d’un petit garçon nous ramenèrent sur terre. L’enfant prépubère, à qui notre amazone avait emprunté la boisson gazeuse, pleurait à chaudes larmes la perte de son précieux liquide sucré. Sa mère le réconforta tant bien que mal, sortit un sac de chips pour le faire taire et hocha subtilement la tête à notre accompagnatrice, en guise de solidarité féminine.

Voilà, tout est bien qui finit bien, avons-nous pensé sereinement. Le film allait enfin débuter et nous avions la sainte paix. Une main se posa alors sur l’épaule de notre amie. Nous nous retournèrent tous les deux simultanément. Un employé du cinéma boutonneux, à la mine patibulaire, nous fit signe de nous lever et de l’accompagner immédiatement vers la sortie.

Debout derrière lui, le « douchebag » fut incapable de camoufler son sourire narquois. Il retourna s’asseoir à son siège en bombant le torse. Le saligaud venait d’avoir sa revanche. Nous ne sûmes jamais réellement ce qu’il avait inventé comme histoire pour réussir à nous expulser de la salle. L’employé se contenta de nous faire un long monologue sur l’importance du civisme.

Devant le portique du cinéma maintenant désert, notre amazone regarda silencieuse l’affiche du film. –Désolé s’exclama-t-elle, je voulais vraiment regarder ce film.

Finalement nous ne l’aurons jamais vu cette Gal Gadot. Pour la première fois, depuis le début de notre rencontre, notre starwarsienne paraissait triste.

-Pas besoin de regarder Wonder Woman, lui avons-nous expliqué, pour lui remonter le moral, nous en avons déjà une à nos côtés. Elle éclata alors d’un rire contagieux et nous ébouriffa les cheveux.

–Quelle drôle de phrase sirupeuse, surtout venant de la bouche du critique caustique! Seriez-vous en train de vous ramollir?

NDLR : Nous avons appris du principal intéressé que la critique caustique de la semaine prochaine portera sur le film « Transformers » et se nommera « Optimus Prime au soin palliatif ».

Le Critique caustique