Boire à tire-larigot !

 Paul-Henri Hudon

HISTOIRE – C’était en 1848. L’apôtre de la tempérance, le père Chiniquy, passait à Saint-Hyacinthe. Avec le flux de son  éloquence et  sa parole vibrante, il s’exclama devant la foule: “Mes frères, je n’ai pas de conseil à vous donner, mais si vous avez à coeur de garder la tempérance, de vivre sobres, fuyez les occasions, fuyez les auberges et même plus, fuyez ces maisons, ces usines où la boisson est manufacturée et débitée. Je vous dirais même que la destruction de ces maisons ne serait peut-être pas un mal. Leur disparition vous serait une sauvegarde”.

Il n’en fallait pas plus. Le mot lancé,  la foule comprit bien ce qui restait à faire: “Il y avait là, sur la rue St-Michel, rapporte le journaliste, une bâtisse assez imposante érigée pour manufacturer de la grosse bière. Ces terrains et la bâtisse étaient la propriété de Messire Édouard Crevier, curé de la paroisse dans l’église de laquelle Chiniquy avait prêché la tempérance. Cet édifice de 80 pieds de long par 140 pieds de profondeur, en briques à deux étages, s’appelait “La Distillerie”.

Électrisée par les chaudes paroles du prédicateur, la foule nombreuse se dirigea vers la distillerie, armée de bâtons, de gros marteaux, de haches. On enfonça les portes, on se promena de pièce en pièce en brisant tout, défonçant les quarts et les barils, marchant dans la bière qui coulait dans les caves. Ce fut un dégât général. On n’épargna rien. La destruction fut si complète que le propriétaire ne jugea pas à propos de réparer. Que le lecteur ne soit pas scandalisé. Les “véganes” en 2018, s’attaquent de façon semblable aux boucheries et aux abattoirs, en France.

Charles Chiniquy

Donc les casseurs se transportèrent ensuite à la maison de Charles L’Heureux, soupçonné de vendre de la boisson sans licence. Il gardait à son service un pauvre innocent, qui se tenait à son poste jour et nuit, et tendait la main ouverte, pour garder sur l’ordre de son maître, le prix de la boisson. Jamais il ne parlait, jamais il ne riait ou pleurait devant les moqueries des clients…. Les malfaiteurs traînèrent cet homme jusqu’à la bâtisse du marché, le hissèrent sur le toit, le lièrent à un mât, où il demeura toute la nuit. Mais le journaliste précise: Ce pauvre innocent était en fait “une forme en bois de cèdre qu’un habile sculpteur avait mécaniquement arrangée. Le bras tendu se mouvait par un ressort sur lequel L’Heureux mettait le pied quand le buveur avait payé son obole et faisait tomber la pièce d’argent dans un bol fixé tout près”.

Et si Chiniquy revenait à Chambly en 2018 !!! Que feraient les prohibitionnistes ? Hein !

(Le Sorelois, 27 janvier 1899, page 1)