Charles Fraser-Guay
CINÉMA – Prix de la mise en scène à Cannes dans la catégorie Un certain regard, « Wind River » est un film honnête, sans pour autant être transcendant. Son histoire reprend un canevas mille fois utilisé. Seul son cadre se démarque réellement avec entre autre comme paysage un territoire hostile, recouvert d’une neige sans fin et une histoire dépeignant la triste réalité des habitants des réserves autochtones.
Étonnamment, sa réalisation, sans être fade, n’est pas particulièrement inspirée, une bizarrerie lorsqu’on pense à la nature de son prix à Cannes. L’interprétation des acteurs, quant à elle, reste convenable, bien que la psychologie des personnages demeure peu développée. Bref, comme vous l’aurez constaté, nous ne sommes pas en diapason avec la majorité des critiques, globalement dithyrambique au sujet du film.
Mais revenons brièvement à son histoire. Elle est relativement simple. Nous sommes dans un polar en bonne et due forme. Le protagoniste principal se nomme Cory Lambert (Jeremy Renner). Il est pisteur et chasseur dans la réserve indienne de Wind River, dans le Wyoming. Durant l’une de ses missions, il découvre le corps d’une adolescente, morte de froid. Notre héros réalise alors que celle-ci a sans doute été sauvagement violée.
Une fois la police informée, le FBI délèguera l’agente novice Jane Banner (Elizabeth Olsen), afin de faire la lumière sur cette sordide affaire. Cette femme idéaliste et compétente aura bien de la difficulté à se faire accepter par cette communauté. Pour cette raison, Cory Lambert, désireux lui aussi de découvrir le coupable, choisira de l’épauler dans son enquête. En cours de route, il devra revisiter son propre passé et les drames de son existence.
Elizabeth Olsen et Jeremy Renner
Ce premier film de Taylor Sheridan, reconnu pour ses scénarios de qualité («Sicario » et « Commancheria ») ne parvient pas à tirer le plein potentiel de son sujet. L’effort est tout de même louable. La réalité des Amérindiens dans les réserves est pratiquement évacuée du cinéma américain, un non-sens, surtout à une époque où ce médium est utilisé à profusion par la communauté afro-américaine comme outil pédagogique (le majordome, les couleurs des sentiments, Selma, Loving).
Cette omission donne, en quelque sorte, l’impression que l’histoire amérindienne s’est arrêtée lors de la création des réserves. Pourtant, elle se poursuit, mais dans une indifférence frôlant le mépris, la nôtre. Cette indifférence nous dédouane malheureusement de nos propres responsabilités. Sheridan fait donc œuvre utile avec ce long métrage et démontre une nouvelle fois son intérêt pour les exclus.
Dans la première partie du film, les enjeux auxquels doivent faire face les Amérindiens sont bien représentés : celle de la pauvreté extrême, d’une jeunesse dépendante aux drogues diverses, d’un déracinement profond et durable, d’une déréliction collective.
Cette situation fait, en quelque sorte, écho à l’actualité canadienne. L’enquête sur les femmes autochtones disparues est là pour nous le rappeler. Le film mérite donc d’être vu, pour ces raisons. Cependant, une fois cette constatation faite, que reste-t-il du film lui-même?
D’abord, « Wind River » semble être tiraillé entre une approche grand public, voire consensuelle, et une seconde, associée au film d’auteur. Comme spectateurs, nous avons l’étrange impression d’être assis entre deux chaises.
Les scènes de fusillade n’ont pas la profondeur dramatique voulue. Les protagonistes sont relativement détachés de cette violence. Cette banalisation est peut-être réelle dans les réserves, mais elle engendre un certain désintérêt, car nous avons soudain l’impression d’être plongés en plein film d’action.
Nous retrouvons aussi dans le film la présence ombrageuse du fameux justicier solitaire. Le modèle demeure inchangé. Il est représenté sous la forme d’un homme, blessé par la vie, cherchant une certaine forme de réparation.Cette représentation, cependant, ne colle pas vraiment avec certaines valeurs de la société amérindienne. Leur vision de la collectivité ou de la vengeance est diamétralement opposée à la nôtre.
Par exemple, selon l’anthropologue Claude Lévi-Strauss, la vengeance chez les premières nations entre plutôt « dans un cycle ou le châtiment appelle réparation et ainsi de suite, mais avec cette différence que c’est la justice comme institution qui prenait cet aspect sur elle. Tristes tropiques, de l’anthropologue Claude Lévi-Strauss».
D’ailleurs, la scène d’introduction résume bien l’omniprésence de la figure du justicier. Nous y voyons un loup partir à la chasse d’un troupeau de brebis. Le protagoniste principal, Cory Lambert, abat l’animal sans aucun état d’âme.
Voir Cory Lambert rétablir l’ordre dans la réserve, tel un Clint Eastwood, a un petit quelque chose d’artificiel. C’est un peu comme si les Amérindiens avaient nécessairement besoin d’une aide extérieure afin de résoudre leurs problèmes.
Nous y voyons une certaine forme de paternalisme. Ces éléments pourront sans doute vous paraître anecdotiques; pourtant, pour nous, il s’agit d’une déviation du thème central du film. Il portait initialement sur « l’étude des conséquences nées du fait de forcer un peuple à vivre sur une terre qui n’était pas destinée à l’accueillir », pour paraphraser le réalisateur.
À notre avis, l’aspect d’une brisure dans la transmission intergénérationnelle aurait dû être davantage développé. La scène finale en donne un certain aperçu. Le film aurait alors gagné en pertinence.
Pour des raisons qui lui appartiennent, le réalisateur a plutôt choisi une voie inverse. Finalement, les thématiques abordées, dans le film sont davantage celles du western. Cette absence de loi et ce désir de se faire justice soi-même sont typiques du genre, tout comme la présence d’une nature fondamentalement hostile.
En conclusion, Wind River est un western crépusculaire davantage qu’un film sur la réalité des Amérindiennes dans les réserves. Nous y voyons un certain paradoxe. Le film ne s’éloigne jamais trop loin des sentiers déjà balisés par ses prédécesseurs, et pour nous, il s’agit d’une déception.