Une épidémie bien de chez-nous: Le “mal de la Baie”

Paul-Henri Hudon

HISTOIRE – Même si les sources d’information sont rares, nous savons que cette épidémie a sévi au Québec peu de temps après la Conquête du pays par l’Angleterre. C’est en 1773 que les autorités sont informées d’un mal étrange qui se répand dans la région de Charlevoix. Les cas auraient été nombreux à Baie-Saint-Paul, d’où son nom.

On aurait retrouvé des cas d’infection dans la région de Sorel, de Berthier, dans Kamouraska et ailleurs. La maladie se manifestait par « des petits ulcères sur les lèvres, la langue, l’intérieur de la bouche et les parties secrètes. Les ulcères contiennent une matière blanchâtre purulente qui peut communiquer l’infection”.

Cette maladie, surnommée, “mal écossais, mal allemand, vilain mal”, aurait perdurée pendant une vingtaine d’années. On soupçonnait des marins écossais d’avoir importé cette endémie.

“En 1841, au cours d’une conférence devant la Société historique de Québec, l’honorable A. W. Cochran, affirmait que la cause était alors attribuée à l’usage commun des draps, des couvertures, des vêtements, des gobelets, des cuillères et de la pipe comme source de contamination”.

Donc, les résultats d’un manque d’hygiène. Or, il semble que ces manifestations s’apparentaient plutôt à des maladies vénériennes, comme la syphilis, vulgairement appelée la “vérole”.

Le gouverneur Carleton, inquiet de la propagation de ce mal, dépêcha, outre le docteur Badelard, dans les régions des médecins anglais pour soigner ces maux, particulièrement le docteur Bowman.

Par la suite, on invita les curés de paroisse à tenir un registre des malades et à leur procurer des soins. À Chambly, le curé Mennard réagit nettement à cette mission médicale que lui demande le docteur Bowman:

“Quoi ? Monsieur, interroger un patient, examiner les symptômes de sa maladie, en déterminer le fond et les circonstances, s’informer de l’âge et du sexe, prescrire un régime en conséquence, donner des remèdes, en examiner les effets et, s’ils ne répondent pas aux traitements, multiplier les doses, veiller aux accidents qui peuvent être décuplés de ce qu’on nous propose dans le livret, changer de remèdes en conséquences, cela ne s’appelle-t-il pas les fonctions de médecin ?

Je proteste premièrement que personne n’est plus désireux que moi de voir extirper le mal funeste qui désole cette province et d’employer tous les moyens qui seraient à mon pouvoir pour participer au bien public J’ai dit et je pense que s’adressant aux curés pour en faire des espèces de médecin, on a mal débuté. Et qu’y ayant dix neuf vingtièmes d’entre eux qui n’y entendent goutte, nous aurions tort de nous en mêler. Qu’on ne me dise pas qu’on n’exige point de nous les fonctions de médecin; on prétend sans doute amuser des enfants. … Ensuite viendront des accidents imprévus dont ils (les curés) ne connaîtront pas seulement la cause. Car on ne me persuadera pas que les accidents sont tous annoncés dans le livret. Que feront-ils alors ? Surviendra une complication de diverses maladies, surtout dans le sexe, où en seront-ils ? Je vous assure, Monsieur, que je croirais ma conscience terriblement engagée, si je me mêlais dans cette affaire.

M. le docteur Bowman objecte à ceci que le nombre de docteurs capables est si petit qu’il aime mieux s’en rapporter aux curés. J’ai dit et je pense qu’il me paraît bien plus simple et naturel de nommer et d’établir de distance en distance des docteurs capables d’administrer à propos les remèdes que le gouvernement a la générosité de fournir gratuitement, lesquels docteurs seraient sujets à l’examen et la visite du docteur Bowman, ou autre commis pour ça par le dit gouvernement…”.

Après avoir contaminé 5 801 personnes (5% de la population), le mal s’est éteint et a disparu. Allez savoir pourquoi.

Sources: Archives du diocèse de Saint-Jean-Longueuil, Document 1A-4, Lettre du curé Mennard, prêtre à son évêque le 25 août 1785.

Jean Milot, Le Médecin du Québec, volume 42 ,numéro1, janvier 2007. Serge Gauthier, Encyclobec, Le mal de la Baie-St-Paul, 4 juin 2002

Illustration: Rénald Lessard, “Direction pour la guérison du mal de la Baie St-Paul” Village de Baie-Saint-Paul.