Charles Fraser-Guay
CINÉMA – Après l’échec de son excursion anglaise (The Death and Life of John F. Donovan), Xavier Dolan nous revient avec un 8e film efficace et sympathique, qui démontre encore une fois l’étendue de son talent. Il le fait, cette fois-ci, sans tomber dans les excès de style d’un « Laurence Anyways » et sans l’aspect verbeux, peut-être moins accessible, de « Juste la fin du monde ».
La prémisse du film est simple mais efficace. Matthias et Maxime, deux amis depuis l’enfance mais dont le cheminement de vie diffère, sont contraints de participer à un film amateur pour rendre service à la sœur d’un ami. Le synopsis les rend mal à l’aise, en particulier Matthias. Ils doivent s’embrasser… Ce simple baiser, pourtant innocent, aura des répercussions directes et profondes sur leur amitié.
De prime abord, nous pourrions croire que le thème principal du film est la découverte de soi et qu’il s’agit d’un film initiatique, au même titre que le chef d’œuvre « Call me by your name ». Pourtant, à mesure que l’intrigue progresse, force est de constater qu’il s’agit davantage d’un film sur l’amitié et sur l’amour imprévu que celui-ci peut engendrer : des thèmes porteurs et aux multiples possibilités, bien travaillés par le réalisateur.
Dolan, dans ce film, suggère plus qu’il ne montre, un choix scénaristique brillant et audacieux. La scène du baiser, l’élément déclencheur, est coupée dès le préambule. Le réalisateur laisse ici au spectateur le soin de se l’imaginer. Cette retenue est inédite, lui qui nous a habitués à des montagnes russes émotives.
Son désir de laisser dans l’ombre les moments pivots de l’histoire témoigne de son évolution comme réalisateur. Les non-dits et les regards échangés entre les deux protagonistes principaux sont, à cet égard, encore plus révélateurs qu’une surenchère de dialogues et d’effets de caméra.
La réalisation est foisonnante, comme pour les autres films de Dolan, mais sans jamais reléguer l’histoire au second plan. La scène de la nage au début du film est particulièrement réussie, tout comme celle dans l’établi, lors de la fête du départ de Maxime. Le cinéaste utilise encore une bande sonore éclectique, oscillant entre musique populaire et classique, agrémentée de très belles compositions de Jean-Michel Blais.
Tout en évoluant dans ses choix de mise en scène, le réalisateur reste indubitablement un maître dans l’art de diriger ses acteurs. Ceux-ci sont criants d’authenticité et de vérité.
Il convient ici de souligner la qualité générale de la distribution. Gabriel D’Almeida, dans le rôle de Matthias, transpose avec justesse et nuance les déchirements intérieurs de son personnage. Dolan lui-même, avec un personnage plus effacé et moins verbeux, est en pleine possession de ses moyens. Mention spéciale à Pier-Luc Funk qui, dans un registre similaire à celui de Dallaire dans « 1987 », se démarque du lot par son énergie et sa vitalité.
Les dialogues de Dolan sont, comme toujours dans son cinéma, savoureux et bien ficelés. Loin de paraître superficiels, comme l’ont souligné certaines critiques, les sujets de discussions abordés par ce groupe d’amis hétéroclites se révèlent bien plus profonds qu’on peut le croire aux premiers abords.
La caricature que fait le scénariste d’une « milléniale » parlant un « franglais » totalement incompréhensif est du Dolan à son meilleur : un savant mélange d’humour, de références culturelles diverses et de phrases-choc dévastatrices.
Curieusement, les scènes se déroulant avec la mère inapte de Maxime, encore interprétée par sa muse Anne Dorval, sont sans doute les plus faibles du film. L’impression de déjà-vu qui s’en dégage est indéniable. Nous croyons assister à une énième variation de « Mommy » ou de « J’ai tué ma mère ».
Mais à bien y réfléchir, il faut peut-être voir dans ces scènes une sorte de détachement tranquille du réalisateur face aux thèmes qui ont, jusqu’à présent, jalonnés sa filmographie. Dolan s’éloigne graduellement des ravages de l’amour maternel, post-adolescent, et aborde avec sensibilité et nuance les joies de l’amitié pré-adulte.
S’il poursuit dans cette lignée, il sera intéressant de voir où ce renouvellement de sa mythologie le mènera.
Dolan en a peut-être terminé de tuer sa mère…