OPINION – Voici comment je perçois le projet de déployer des maternelles 4 ans partout au Québec; c’est un peu comme si je vous donnais des pneus à clous en vous disant que votre voiture aura une meilleure adhérence à la route et que vous me répondez «c’est gentil, mais le moteur de ma voiture ne fonctionne plus»!
Le ministre de l’Éducation veut investir plusieurs millions de dollars afin de développer des classes maternelles 4 ans, car il prétend que les enfants seront mieux dépistés s’ils ont des difficultés et que ça leur permettra de mieux réussir leur parcours scolaire par la suite… peut-être, mais pour les faire poursuivre dans le milieu de l’éducation qui souffre énormément ?
Pénurie d’enseignants, écoles qui manquent de places ou qui ont sérieusement besoin d’être rénovées. Lors de la rentrée scolaire 2018, plusieurs écoles n’avaient pas encore pourvu tous leurs postes d’enseignants. Dans Le Devoir du 3 mars, on cite des parents dont les enfants du primaire sont rendus à une dizaine de professeurs qui se sont succédé depuis septembre. Les enfants sont démotivés et ne veulent plus aller à l’école et, pourtant, il y en a qui ont fait la maternelle 4 ans dans ce lot ! Qu’est-ce que ça donne d’investir autant d’argent pour les dépister si on ne peut leur offrir un bon milieu par la suite ?
Le problème est pris à l’envers. Si on veut diminuer le problème de décrochage, nous devons nous assurer d’offrir un milieu stable, de qualité, attrayant et attirant pour les enfants. Avant toute chose, nous devons nous assurer que les nouveaux enseignants qui sortent de l’université cessent de «décrocher» après quelques années d’enseignement.
Il faudrait aussi cesser de détruire des bibliothèques pour faire de la place pour de nouvelles classes (comment favoriser la lecture, qui est essentielle à la réussite scolaire, si on n’a plus de bibliothèque ?). Les millions devraient plutôt être investis dans ces problématiques avant d’être investis dans les maternelles 4 ans.
C’est important de dépister les enfants en bas âge afin de favoriser la réussite scolaire. Voilà pourquoi les Centres de la petite enfance existent. Il y a déjà un excellent réseau qui est en place avec ses installations et ses responsables de service de garde reconnues en milieu familial. Les enfants y sont déjà dépistés, et ça, dès leur première année de vie. Il est certain que ces services pourraient être bonifiés avec, par exemple, l’ajout d’orthophoniste et d’ergothérapeute.
Continuer de développer le réseau des CPE coûterait moins cher que de construire des écoles. De plus, si le gouvernement cessait «le remboursement» anticipé auprès des parents dont les enfants fréquentent des services de garde privés, on pourrait mieux s’assurer que ces enfants reçoivent des services de garde de qualité en CPE.
Ce gouvernement me fait rire lorsqu’il parle de garder le privé pour que les parents aient le choix… le choix de quoi ? Plusieurs sont au privé par manque de places dans les CPE ou parce que ça leur coûte moins cher. Dans ces deux cas, on ne parle pas de choix réel sur la qualité des services que les enfants recevront.
Plusieurs enfants qui ont des difficultés fonctionnent mieux en petit groupe, ce que l’école ne permet pas. En service de garde, les enfants reçoivent un repas équilibré et deux collations santé par jour. L’école est gratuite, mais pas le service de garde, et les maternelles 4 ans n’ont pas le droit au transport scolaire. De plus à 4 ans, l’enfant doit avoir son lunch ou manger les repas de la cafétéria, qui eux, ne sont pas gratuits.
Le ministre Roberge nous dit que les maternelles 4 ans ont fait leurs preuves en Ontario, peut être, mais l’Ontario n’a pas de CPE ! On compare des pommes avec des oranges.
De plus, ce même ministre ne cesse de dire qu’il a reçu un «mandat clair» de la population. Je m’excuse, mais je n’ai pas voté pour ça !
Si on prend le temps d’analyser le vote, on constate que 4 660 317 personnes inscrites sur la liste électorale n’ont pas voté pour la CAQ, ce qui représente 75 %; ça veut dire que les trois quarts des gens en âge de voter n’ont pas voté pour ça. On peut pousser encore plus loin en citant une étude réalisée par la sociologue Claire Durand qui dit que seulement 17% des électeurs caquistes ont été motivés par leur «appréciation générale des politiques, des idées et du chef».
Si on ramène ça en chiffre, ça voudrait dire que 256 608 personnes ont voté pour les idées de la CAQ, et si on met ce nombre en pourcentage, ça représente moins de 5% des gens inscrits sur la liste électorale qui ont voté pour cette idée… désolée, mais la seule chose «claire» que je constate c’est que 95% de la population n’a pas voté pour ça.
Qu’on commence par offrir un réseau scolaire en santé et qui prend soin des élèves qui sont déjà dans le système avant de penser y rajouter les maternelles 4 ans. Trop d’élèves et de professeurs souffrent déjà sans qu’on en rajoute. Personne n’est contre le projet des maternelles 4 ans… une fois qu’on aura réglé tous les problèmes actuels.
Marie-Hélène Gagnon
Saint-Césaire