Pierre-Yves Faucher
MUSIQUE – À la veille de la fête nationale du Québec, le Journal de Montréal a publié une liste des 25 groupes qui ont marqué le Québec. Habituellement, je demeure toujours perplexe avec les choix de telles listes. Pas tant à cause des noms retenus que ceux qui n’ont pas été inclus. Dans ce cas-ci, les critères de sélection se sont, à mes yeux, avérés assez larges pour que les choix soient justifiés. Ampleur du succès, longévité, chansons qui ont traversé le temps, notoriété québécoise, notoriété internationale, qualité des concerts et goûts personnels du jury (11 journalistes).
Bien sûr, plusieurs groupes qui n’apparaissent pas dans la liste se seraient qualifiés pour un ou plusieurs critères, comme certains qui étaient exceptionnels en spectacle avec des chansons moyennes ou qui avaient un impact immense au Québec sans dépasser les frontières en matière de notoriété.
Que sont les groupes devenus ?
Qu’en est-il du concept de groupe musical en 2025 en tant que cellule créative pour créer des chansons, quel que soit le genre? Tout d’abord, si les groupes existent encore, sont-ils écoutés de nos jours? Y a-t-il des groupes populaires qui ont été créés depuis les 10 dernières années? Voici quelques statistiques pour nous éclairer sur le sujet.
Selon une compilation datant du 13 septembre 2024, la liste 400 artistes les plus écoutés par mois sur Spotify ne comprend que trois groupes. Le premier est en 6e place (Coldplay formé en 1996), la liste étant dominée par Billie Eilish avec 105,975,169 auditeurs mensuels. Parmi ces 400 artistes, seulement trois groupes ont été créés dans les 10 dernières années. Grupo Frontera (2022) au 135e rang, Måneskin (2016) au 248e rang et Richy Mitch and The Coal Miners (2017) au 328e rang.
En date du 20 juin 2025, la liste des 50 artistes les plus écoutés sur Spotify ne comprend que huit groupes. Le plus récemment formé est BTS (2013), un boys band de la Corée du Sud qui se classe au 12e rang des artistes les plus écoutés. Tous les autres ont été formés avant 2010. One Direction (formé en 2010 – 38e rang), Imagine Dragons (formé en 2008 – 20e rang), Artic Monkeys (formé en 2002 – 49e rang), Linkin Park et Coldplay (formés en 1996 – 36e rang et 14e rang respectivement) et finalement Queen formé en 1970 qui se classe en 37e position.
Les années 2000 ont été fatales
Au début des années 2000, les compagnies de disques et leur département A&R (Artists and Repertoire) interviennent plus intensément dans le processus de création. Les ventes de disques diminuent et elles veulent ainsi garantir d’avoir des chansons d’impact et des numéros 1. Elles commandaient des chansons à des compositeurs et/ou réalisateurs professionnels qui les offraient aux groupes. L’équipe de réalisation pouvait s’occuper de tout l’enregistrement sans faire appel aux musiciens du groupe. Cela ne faisait plus de sens d’octroyer des contrats de disques à des groupes. Ceci a mené à la mort de ces entités créatrices. D’autres facteurs y ont contribué comme on le verra plus loin.
Dans une de ses populaires vidéos de sa chaîne Youtube, Rick Beato affirme que la situation a changé à la fin des années 1990 et au début des années 2000 avec la création des boys bands comme les Backstreet Boys et NSync. Ces groupes sont formés d’artistes en raison de leur look, de leurs capacités vocales et chorégraphiques. Sur scène, ils ne jouent pas d’instruments.
La connexion avec le public
Je doute que des réalisateurs et des compositeurs professionnels aient une connexion directe avec le public d’un groupe préfabriqué. En général, ces artistes n’écrivent pas leurs chansons et si le nom des membres du groupe apparaît dans les crédits, c’est souvent en raison d’une entente contractuelle. Ils peuvent écrire une ligne d’un couplet et leur nom est inscrit automatiquement. Ils se présentent en studio et ils chantent des textes qui ne leur appartiennent pas. Pour l’écriture des chansons dans le cas des artistes solos comme Justin Bieber, ils se mettent souvent à huit pour produire une chanson (What Do You Mean, Sorry et Love Yourself).
Est-ce important que les groupes écrivent leurs propres chansons? Décrire la réalité dans leurs propres mots était l’apanage par exemple des groupes américains et britanniques des années 1960 et 1970 dont les musiciens provenaient pour la plupart de la même région, se connaissaient depuis l’adolescence et apprenaient très jeunes les rudiments de base de la musique en imitant leurs idoles. Les Rolling Stones, les Beatles et les Who me viennent spontanément à l’esprit. En obtenant un succès d’abord localement, ils parvenaient à toucher leur public avec des sujets qui les concernaient et des paroles qui correspondaient à leur quotidien.
L’évolution de la technologie et Tik Tok
Un autre facteur majeur qui a contribué au déclin des groupes est relié aux avancées technologiques. Le processus de réalisation est grandement simplifié. Les différents logiciels (Logic Pro X, Pro Tools, Cubase Pro, etc.), permettent maintenant à un artiste solo de produire chez lui sur son ordinateur un album de qualité sans musiciens, mettre le tout sur Tik Tok et obtenir un immense succès international.
La dynamique du groupe
La difficulté d’être dans un groupe avec la conciliation des ambitions et des égos, les conflits personnels et artistiques, le stress des tournées (toxicomanie, alcoolisme), tous ces éléments contribuent à décourager la formation de groupes. Les jeunes talents qui s’autoproduisent doivent assumer des coûts exorbitants : local de répétition, déplacements, hébergement, gestion des réseaux sociaux pour la promotion, baisse des ventes de disques, etc.
Pour les compagnies de disques, c’est plus efficace et moins cher de promouvoir un artiste solo, de le mettre en marché et de gérer son image dans les médias.
Le rock n’est pas mort, il est devenu marginal
Plusieurs commentateurs clament que le rock a rendu l’âme. Il est retourné probablement dans l’underground ou dans la marginalité comme à ses débuts.
La nouvelle vague de classic rock incorpore des éléments des années 1970 que ce soit le hard rock, le blues rock et le rock psychédélique. Plusieurs groupes attirent actuellement les foules en reproduisant les saveurs et les riffs du passé comme Greta Van Fleet (émules de Led Zeppelin), Dirty Honey, The Sheepdogs, Rival Sons, Lemon Twigs, The Black Keys et The Strokes.
Le rock est moins populaire de nos jours parce qu’il connecte moins bien avec la jeune génération qui consomme de la musique. Est-ce à cause l’absence de groupes de ce genre qui n’écrivent plus leur propre musique et qui n’expriment plus leurs préoccupations? Peut-être.
La création musicale n’a plus besoin des humains
Avec le développement de l’intelligence artificielle, on en arrive à la création de groupes musicaux totalement désincarnés et sortis de nulle part comme le groupe Velvet Sundown qui en quelques semaines a réussi à cumuler plus d’un million d’écoutes sur Spotify. Cette technologie peut créer plus rapidement que des humains comme en témoigne la production de trois albums en six mois !
Les revenus ne sont plus répartis entre des auteurs-compositeurs, mais reviennent directement au réalisateur qui reste anonyme pour le moment. Spotify propage des pièces musicales générées par l’IA pour ne pas avoir à reverser des droits d’auteur. D’autres domaines sont également affectés par cette technologie. Le métier de traducteur tel qu’on le connaît est en voie de disparition. C’est déjà commencé, ceux-ci sont maintenant souvent sollicités pour réviser la traduction des machines. Est-ce que le futur de la littérature appartient à l’IA? Tant de questions qui valent la peine d’être examinées. On s’en reparle.