Les groupes hommage : plus vivants que jamais!

Pierre-Yves Faucher

MUSIQUE – Dans un récent article dans les pages du Montérégien, j’évoquais que le public en général, notamment sur Spotify, écoutait davantage la musique d’artistes solos par rapport à celle des groupes. Cependant, il appert que le concept des groupes hommage est plus vivant que jamais, surtout au Québec. Une légende urbaine suggère que c’est ici qu’il y a le plus de groupes de ce type dans le monde. Difficile à vérifier, mais un survol des agences de promotion ou d’artistes nous donne un aperçu de l’ampleur du phénomène.

En visitant quelques sites Web, on dénombre pour une seule agence plus d’une centaine de groupes hommage principalement axés sur la musique des années 1970 et 1980 sur un total de 450 artistes. On dénombre une autre centaine de groupes répartis entre quelques autres agences.

Il y a les groupes, mais aussi des chanteurs qui s’approprient le répertoire exclusivement consacré à un autre artiste comme Elvis Presley. Au Québec, dans les années 1960 et 1970, nous avons eu Johnny Farago qui a incarné le personnage pendant plusieurs années et plus tard Martin Fontaine à partir de 1995. Sans compter les nombreux autres imitateurs qui se commettent dans les nombreux festivals et bars de la province. Aux États-Unis seulement, vingt ans après sa mort, on dénombrait plus de 5000 imitateurs d’Elvis.

Les groupes hommage et les « bands de covers »

Dans les bars et les cabarets, rares sont les groupes qui sont engagés pour jouer leurs propres compositions. Au Québec, les groupes qui s’y produisaient dans les années 1970 et 1980, jouaient le top 40 qu’on entendait à la radio. C’est ce qu’on appelle les « bands de covers ».  Des airs familiers pour le public qui aimait entendre leurs chansons préférées.

LOVE U2. Groupe hommage au groupe Irlandais lors de son passage à Saint-Césaire en 2024.

La formule s’est bonifiée avec le temps pour apparaître dans de grandes salles de spectacle et dans les festivals. Actuellement, les groupes hommage peuvent d’une part honorer une ou plusieurs décennies comprenant le répertoire des plus grands succès du rock des années 1970, 1980 et 1990 comme Rock Story, Undercover Legends of Rock et Guitar Story. D’autres part, les groupes hommages à un seul groupe sont plus nombreux. Il existe même une page Facebook consacrée à la promotion au Québec des groupes hommage au Québec (Tribute Bands Hommage du Québec).

La revue musicale Rock Story.

Origines du phénomène

Le phénomène est semble-t-il apparu en Australie (la date précise n’a pas été établie) selon le journaliste britannique Tony Barrell dans les pages du Sunday Times en 1997. Dans le cadre de leurs tournées internationales, les groupes populaires avaient tendance à éviter le pays. Ainsi, les Australiens n’avaient aucun scrupule à créer des reproductions fidèles aux originaux. Par exemple, on a vu apparaître un groupe hommage à Abba (Björn Again) au début des années 1990 qui s’est produit par la suite en Angleterre. Suite à un franc succès, des promoteurs ont montré un vif intérêt envers le concept et créèrent des festivals consacrés aux groupes hommage.

Prendre plaisir à jouer la musique de ses idoles

La plupart des musiciens faisant partie des groupes hommage au rock sont d’abord des fans. Ils reproduisent avec précision les sonorités, les voix, les costumes et jouent la plupart du temps sur de l’équipement semblable à celui des groupes originaux.

Au Québec, le premier groupe qui me vient à l’esprit est le groupe The Musical Box (Photo du haut), qui recrée depuis 1993 des albums complets comme The Lamb Lies Down on Broadway ou un mélange de concerts relatifs aux albums Foxtrot, Nursery Cryme et Selling England by the Pound. Ils connaissent un succès international en plus d’être approuvés par Peter Gabriel et Phil Collins. Ils ont même réussi à inviter sur scène le guitariste Steve Hackett en 2002 à Londres et en 2012 à Zurich.

Ce n’est pas donné à tous les musiciens de rencontrer ses idoles. C’est arrivé au Chamblyen  Steve Barry, « la voix à tout faire ». En participant à une collecte de fonds dans un bar de Montréal en 2019, il chanta trois chansons de Chris de Burgh, le barde britannico-irlandais qui a connu un succès mondial avec les chansons Spanish Train et The Lady in Red. Sa prestation a été filmée et une personne lui a suggéré de lui envoyer la vidéo. « Tu vas voir, il va te répondre » qu’on lui disait.

L’envoi s’est donc fait et trois semaines plus tard, Steve reçoit un message texte flatteur. «Tu sonnes comme moi», a-t-il répondu. Une demande d’approbation pour la création d’un groupe hommage à ses chansons n’a pas tardé et Steve Barry reçut une réponse positive de la part de Chris de Burgh. Une rencontre improbable s’est produite en 2023 lors d’un spectacle à la Place des Arts de Montréal où Steve a été reçu dans la loge de l’artiste. Un moment inoubliable pour lui. C’est donc une motivation supplémentaire de perpétuer le répertoire mélodique de ce grand auteur-compositeur.

Steve Barry fait également partie du groupe You Should Be Dancing, un hommage aux Bee Gees qu’il a créé avec son cousin et son fils, une reproduction vocale familiale tout comme les frères Gibb. Grand admirateur également des Beatles, il est une des têtes d’affiche du groupe Around the Beatles qui parcourt les festivals et les salles de spectacle du Québec.

Around the Beatles en spectacle lors de l’exposition des voiture anciennes à Marieville voilà quelques années.

Des spectacles de notre musique préférée pour moins cher que les originaux

Les ventes de disques n’étant plus la principale source de revenus des groupes originaux et des compagnies de disques, on se fie aux tournées pour remplir les coffres. Or, une tournée coûte énormément cher, ce qui entraîne un montée fulgurante du prix des billets. Et si un de nos groupes préférés ne fait des tournées qu’aux trois ans, l’appétit n’est pas vraiment satisfait. Les musiciens des groupes hommage sont pour la plupart de haut calibre et avec quelques accessoires (habillement, perruques, instruments et présentation scénique fidèle à l’original), l’illusion est parfaite.

Omega men. Groupe hommage à The Police. Un de ses membres, Claude Frégeau, a évolué au sein de la formation Top Sonart dans les années 1980.

Le pub événementiel La Croisée des chemins à Chambly est ciblé comme un lieu propice pour entendre à l’année des bands de ”covers” et des groupes hommage. Ici le Crossroads Blues Band est considéré comme le groupe chouchou du pub, s’y produisant régulièrement depuis son ouverture en 2017. 

Pourquoi l’industrie s’intéresse-t-elle à la promotion du faux ?

Qu’est-il arrivé à l’époque où les stars de la musique étaient authentiques et où les fans ne réclamaient que le « real deal » ? Depuis longtemps, nous sommes envahis par la contrefaçon, que ce soit pour les sacs à main, les montres Rolex, les parfums, les médicaments, etc. Plusieurs facteurs ont contribué à l’essor de cette facette du divertissement.

Prenons l’exemple des Beatles. Leur présence sur scène s’est interrompue en 1966. Cette absence a créé une rareté qui a alimenté une demande à partir du moment où ils se sont séparés en 1970. L’espoir était toujours là jusqu’à la mort de John Lennon en 1980. Le groupe est sans conteste le plus imité sur la planète.

L’élément déclencheur dans leur cas fut sans doute la revue musicale Beatlemania présentée avec succès sur Broadway entre 1977 et 1979 pour un total de 1006 représentations. Une tournée nord-américaine a poursuivi l’aventure dans plusieurs autres villes  comme Los Angeles, Chicago, Cincinnati, Londres et Montréal (24 août 1979 au Théâtre Saint-Denis). C’était une occasion d’entendre la musique du Fab Four sans les cris hystériques de l’époque avec une qualité sonore exceptionnelle jouée par des musiciens hors-pair.

Au Québec, de nombreux groupes prennent plaisir à jouer la musique des Beatles qui leur a donné le goût d’apprendre un instrument de musique ou d’en faire leur principal gagne-pain. Dans les festivals et en salle, on peut applaudir le groupe Help!, Something New, Serge And Peppers, Around the Beatles (Montérégie), Let it Be Beatles et The BeatlesHommage symphonique.

Les musiciens des groupes originaux des années 1960 et 1970 se font vieux

L’occasion de voir nos artistes préférés des dernières décennies se fait de plus en plus rares. La voix des chanteurs principaux n’a plus la force et la justesse d’antan. Certains membres sont soit décédés ou trop malades (ou handicapés) pour se produire sur scène. Qu’en est-il des groupes qui n’ont plus de membres fondateurs? Faut-il les considérer comme des groupes hommage ? Peut-être.

Je pense que le public n’est pas trop difficile à cet égard. Les groupes suivants qui continuent de se produire en spectacle n’ont plus de membres originaux en leur sein : Lynyrd Skynyrd, Quiet Riot, Foreigner, The Hollies et Canned Heat. La liste est plus longue encore. Souvent les têtes d’affiche (chanteur, guitariste) suffisent pour remplir les stades et les salles de spectacles. On pense aux Rolling Stones sans le bassiste d’origine Bill Wyman et leur batteur Charlie Watts (décédé en 2021). Le chanteur Jon Anderson, seul membre de Yes qui évolue avec la formation The Band Geeks, qui reproduit à la perfection le corpus musical de Yes.  De son côté, le guitariste Steve Howe roule toujours sa bosse avec d’autres musiciens sous le nom de Yes.

Je crois qu’avec la disparition graduelle des membres originaux des groupes qui ont fait leur marque dans l’histoire de la musique, le phénomène des groupes hommage n’est pas près de disparaître.