L’élection la plus surveillée au Québec, celle du comté de Chambly en 1886

Paul-Henri Hudon

HISTOIRE –  “Jamais une élection aussi importante n’avait eu lieu dans le comté de Chambly“. (Honoré Mercier, La Patrie, 17 juillet 1886).

La pendaison de Louis Riel (1844-1885), le 18 novembre 1885, va provoquer une commotion politique, une effervescence nationale d’une ampleur telle qu’on n’a pas vue depuis celle des Patriotes de 1837. Honoré Mercier rassemblera 50 000 citoyens au Champ-de-Mars. Une grande fracture s’élargit dans la population, les francophones étant sympathiques à Riel, les anglophones, contre le défenseur des Métis de l’ouest.

Or, il est arrivé que le député fédéral conservateur du comté de Chambly, Pierre-Basile Benoit (1837-1910), démissionne le 13 juillet 1886, après seize ans et dix mois de service. La Patrie en fait ses choux gras: “M. Benoit, député de Chambly, n’a pas exigé seulement la position de surintendant du canal de Chambly, en paiement de son vote sur la question Riel, il a aussi fait élever le traitement attaché à cette position de 1 200 $ à 2 000 $“. (La Patrie, 20 juillet 1886). On devra tenir une élection partielle dans le comté de Chambly. Un avocat du nom d‘Isaïe Jodoin (1836-1914) aspire à succéder au fauteuil conservateur pour le parti qu’on qualifie de “pendards“. Les “nationaux” lui opposeront l’avocat Raymond Préfontaine (1850-1905), un carriériste très connu, un professionnel de la politique. Un troisième aspirant, l’ex-zouave, Edmour Chagnon, qui se dit le “délégué de Son Éminence la Cardinal“, invite à voter pour M. Jodoin, avant de se désister.

L’élection partielle dans le comté de Chambly est donc annoncée pour le 30 juillet 1886. Honoré Mercier, qui rêve d’union et d’harmonie, voit l’occasion de marauder chez les conservateurs. Quelques vieux “tories” rejoindront la formation “nationale” de Mercier. Des élections provinciales sont annoncées pour l’automne. Elles se tiendront le 14 octobre 1886. De plus, un scrutin fédéral devrait avoir lieu dans huit mois. Il se déroulera le 22 février 1887. C’est dire combien le verdict électoral dans le comté de Chambly enverra un signal qui pourra influencer les futurs scrutins. La Patrie écrit: “Vous pouvez donc vous attendre à une lutte désespérée. C’est une question de vie ou de mort pour Chapleau et Langevin“. (La Patrie, 16 juillet 1886).

Une assemblée contradictoire s’est tenue à Chambly, le dimanche 18 juillet 1886. Après la messe, devant une foule de 500 personnes, Honoré Mercier s’adressa à la population de Chambly. “L’un des incidents remarquable de son discours fut lorsqu’il demanda la levée des mains pour savoir combien il y avait de “pendards” dans l’assemblée. Trois mains se levèrent timidement. Les trois pendards furent hués par la foule. C’était trois employés du canal… Dans l’après-midi, on se rendit à Saint-Hubert, où il y avait environ 300 personnes“. (La Patrie, lundi, 19 juillet 1886).

Au soir du scrutin, le libéral Raymond Préfontaine sera élu député avec une majorité de 94 voix. “Le sentiment national a été assez fort pour convertir un vote de plus de 500 (exactement 540) contre nous en une majorité de 94 pour nous. C’est le glas du parti de la corde“. (La Patrie, samedi, 31 juillet 1886). Ceci malgré le fait que “M. Chapleau qui s’était installé avec ses sacs d’écus a fait lui-même la cabale de porte en porte dans le comté. On compte que 20 000 $ ont été jetés dans la paroisse de Chambly. On a vu M. Chapleau conduire lui-même au poll, bras dessus, bras dessous, des employés du canal de Chambly. Quelle bassesse pour un ministre!” (La Patrie, samedi, 31 juillet 1886). Le même journal écrira “qu’au moins 32 employés du service civil ont pris part à la lutte dans le comté de Chambly“. (La Patrie, 31 juillet 1886).

L’affaire Riel a porté chance aux libéraux provinciaux. Honoré Mercier sera porté au pouvoir avec 32 députés dont quatre ou cinq conservateurs. Lors du scrutin fédéral de février 1887, l’Ontario qui avait applaudi à la pendaison de Riel, donnera raison aux orangistes fanatiques et à John A. Macdonald. Quant au Québec, il enverra aux Communes une mince majorité de 35 comtés aux libéraux fédéraux, contre 29 aux conservateurs. Par ailleurs, le pourcentage des votants dans le comté de Chambly aura passé de 50 % en 1882 à 78 % en 1886.

Références: Paul-Henri Hudon, Faire sortir le vote, Recherche historique inédite de 209 pages, parue en décembre 2012, honorée du premier prix par la Fondation Percy-W. Foy.