Le « Grand verglas »…il y a 25 ans!

Sylvain Lapointe*

MARIEVILLE – Au moment, où je commence à réfléchir à mes idées pour ce texte de commémoration du « Grand verglas », j’entends le vent et la pluie verglaçante qui crépitent dans les fenêtres de la maison.  Peu d’angoisse, mais je ne peux avoir meilleure ambiance pour me ramener dans mes souvenirs de janvier 1998.  Ce vendredi 6 janvier 2023, à 9h55,  à ce moment précis, cela fera 25 ans que je décrétais les mesures d’urgence de la ville de Marieville et que débutait cette aventure humaine qui allait démontrer la grande résilience des québécois et la solidarité de mes concitoyennes et concitoyens.  Jeune maire de 34 ans, j’avais vécu quelques situations d’urgence, mais jamais de cette ampleur.

Le 4 janvier 1998, je dois présider une réunion du conseil d’administration du Conseil régional des loisirs de la Montérégie (aujourd’hui Loisirs et Sports Montérégie) à Saint-Hyacinthe.  À 17h00, la pluie verglaçante a déjà débuté. Le trajet, qui est habituellement de moins de 30 minutes, me prend près d’une heure.  Le retour, vers 23:00, dure près de 2 heures, à une vitesse moyenne de 30 km/h.  Les routes 116 et 227 sont de vraies patinoires.  J’arrive à la maison vers 1h00 du matin, fourbu et tendu.

Mardi le 5, vers 8h30, mes beaux-parents, résidents de Sainte-Marie-de-Monnoir, nous informent qu’ils n’ont plus d’électricité.  Nous les invitons à venir nous rejoindre.  Arrivés à la maison, ils nous disent que les chemins sont glacés, le verglas recouvre déjà une bonne partie du territoire.  À la radio, on annonce que plusieurs résidences de la Montérégie sont déjà sans électricité et que plusieurs routes étaient peu praticables, voire, dangereuses.

Devant les circonstances, j’ai dit à mon épouse Josée, que je devais me rendre à la mairie.  J’avais le pressentiment que nous avions tous les éléments d’une situation d’urgence et que la gravité des événements ne pouvait que s’accroître.  Ma voiture est tout glacée.  Un policier vient me chercher.

Arrivé à la mairie, je me précipite au bureau de Gilles Belval, notre directeur de la sécurité publique.  Avec, Réjean Pelletier, notre directeur des Incendies, Gilles me fait un état de la situation.  Déjà, nos pompiers, policiers,  et tous nos employés des Travaux publics dirigés par Gérard Allard, sont à pied d’œuvre et ont répondu depuis la veille à différents appels pour sécuriser des secteurs de la ville.  Une partie de la ville est aussi privée d’électricité depuis la nuit et le matin.  Chez Hydro-Québec déjà débordé, personne n’est en mesure de nous répondre ou de nous faire une évaluation de la situation.  Nos citoyens, inquiets, privés d’électricité depuis quelques heures commencent à appeler pour s’informer des initiatives de la ville pour les aider.

La pluie verglaçante invasive, tombe toujours, menaçante et croissante.

À 9h55, devant l’ampleur de la situation, sous les conseils de Gilles et Réjean, je décrète les mesures d’urgence, en me disant que nous en avions, certainement, pour quelques jours.

Jamais, je n’ai cru que les éléments se déchaîneraient autant.  Comment imaginer,  que cette aventure durerait près de 30 jours consécutifs?

Dans la foulée de cette décision, nous contactons les dirigeants de l’Âge d’Or, afin de faire de leur salle un refuge pour les gens affectés par les pannes électriques.  Une équipe des travaux publics s’y dirige afin de sécuriser les accès qui sont dangereusement glacés.  Vers 11h00, l’électricité commence à vaciller.  Nous cherchons une autre solution.  Le secteur de la salle de l’Âge d’or est maintenant privé d’électricité.  De concert avec M. Guy Lussier, propriétaire du Pavillon Lussier, nous y établissons un centre d’hébergement.  Le Pavillon Lussier, était alors une salle de réception pleinement autonome avec une génératrice et une alimentation au gaz naturel.  Nous sommes mardi midi.  On organise le centre pour accueillir nos citoyens.

Mercredi le 7 janvier, la pluie verglaçante a diminué d’intensité.  Arrêtée en après-midi.  Petit sursis pour nos équipes qui continuent de travailler vaillamment pour dégager nos infrastructures de la glace et des débris de branches et d’arbres qui jonchent les rues de la ville. Dans plusieurs rues de la ville ce n’est que glace et désolation.  De grand froid, par ailleurs, nous assaille, il neige.  Vers l’heure du souper, l’optimisme nous envahit.  L’électricité revient dans une bonne partie de la ville, nous permettant d’espérer un répit et permettre à nos équipes de récupérer.  Vers 18h00, je sortais du Pavillon Lussier et me dirigeait à la mairie. « Black-out » total.  Était-ce temporaire? Que non, les pylônes des lignes de transport surchargés de glace commencent à s’effondrer autour du poste de Saint-Césaire, plongeant la majorité de la Montérégie dans le noir total.  Le Triangle noir de la Montérégie venait de se créé.  Marieville est au cœur du Triangle noir.

Dès lors, nos besoin en hébergement venait de se multiplier afin d’accueillir les nouveaux sinistrés. Nous occuperons dorénavant l’école secondaire Euclide-Théberge.  Des infrastructures minimes de secours y sont présentes.  Le concessionnaire de la cafétéria et son personnel  avec des bénévoles sont mis  à contribution, mais les réserves seront rapidement épuisées dans les jours qui suivront. La génératrice de l’école n’étant branchée que pour les « pompes circulatrices » du chauffage à eau et pour de l’éclairage d’urgence.  Aucun réfrigérateur de la cuisine et fours ne sont fonctionnels.  Malgré la situation, nous gérons toujours la situation en « mode temporaire », sans penser que cela perdurera encore.  Les sandwiches sont au menu.

Nos contacts à Hydro-Québec  et  à la Sécurité civile restent positifs et optimistes.  Jeudi le 7, en soirée, les autorités se doivent d’être réalistes sur le rétablissement de l’électricité, on nous confirme l’arrivée de l’armée canadienne en soutien à nos efforts locaux sur le terrain.  Nous commençons à avoir besoin de relève.  Nos équipes commencent à être essoufflées.  Nos « hommes » travaillent sans relâche depuis lundi, avec abnégation et altruisme.  Ils ont tous des familles eux aussi, qui sont aux prises avec les mêmes problèmes.  Ils continuent malgré tout, avec  le souci, eux également, de savoir ce qu’il adviendra de leur maison, de la sécurité de leur famille.  Je les admire et leur fait part de notre empathie et grande satisfaction de leur travail.

Vendredi soir le 9 janvier, l’armée arrive, générant une vague d’encouragement et de soulagement dans nos propres équipes.  Rencontre avec le lieutenant-colonel Daniel Benjamin, ingénieur et urbaniste, il est responsable de la gestion des infrastructures de la base de Valcartier.  Il connait le fonctionnement et la gestion d’une ville, tout comme ses officiers.    Il m’explique le mandat de l’armée.  Je lui fais part que nous avons besoin de plus que cela.  De plus il est originaire d’Iberville!

Je joue la carte des connaissances communes que nous avons. À titre d’ancien cadet de l’Armée, je connais la chaîne de commandement militaire et peut m’y conformer.  Je conviens avec lui qu’il a son livre de règlements, et que j’ai aussi mon livre de règles.  Nous convenons d’ouvrir un nouveau livre pour le bien de la collectivité de Marieville.  Nous avions des besoins particuliers pour la sécurité, la voirie, la consolidation de notre centre d’hébergement à la « Polyvalente ».  Plusieurs de nos employés n’ont pas eu de repos depuis plus de 48 heures et même près de 72 heures.  Je dois leur permettre de se reposer et assumer une relève.  Nous convenons des paramètres d’implication de ses hommes, et le soir même, ces valeureux soldats patrouillent la ville au côté de nos policiers et de nos pompiers, contribuant ainsi à sécuriser notre territoire.  Ces derniers sont très heureux de se rendre ainsi utiles et sont accueillis avec fraternité par nos équipes.

Les génératrices amenées par la « 5e Brigade de génie » sont branchées et viennent supporter le système de la « Polyvalente ».  Une cuisine de campagne est installée pour subvenir aux besoins croissants de notre centre d’hébergement et offrir de bons repas chauds et réconfortants.  L’arrivée de l’armée nous a permis de réellement hausser le contrôle de notre situation et d’assumer  pleinement le rôle qui nous était dévolu comme organisation municipale responsable de ses mesures d’urgence.  Sans eux, la tâche aurait été encore plus difficile et je n’ai jamais hésité à déclarer que leur soutien a été vital et exceptionnel.  Je l’avais d’ailleurs mentionné dans notre mémoire à la Commission Nicolet.

Pendant ce temps, je maintiens des contacts permanents avec la Sécurité civile afin de trouver des génératrices qui puissent subvenir à nos besoins et alimenter la « Polyvalente » de façon convenable et suffisante.  Indubitablement, je ne suis pas le seul maire en Montérégie qui fait de telles démarches.  Le gestionnaire de la Sécurité civile affecté à notre ville est débordé, mais poursuit inlassablement son travail pour répondre à nos besoins.

Samedi le 10 janvier vers 12h00, miracle!  Fatigué, accoudé à mon bureau de la mairie, je reçois un appel de la Sécurité civile, trois génératrices sont mises à notre disponibilité par une mine d’or de Chibougamau.  Par contre, nous devons en organiser le transport.   On me suggère, le transporteur Thibodeau-Saguelac.  On est samedi! Je me mets au téléphone.  Coup de veine, le représentant de l’entreprise est conseiller municipal à Chibougamau et fera tout son possible pour nous « accommoder ».

Je suis fier de mon coup, la fatigue et la pression se relâchent un peu.  Un petit scotch est le bienvenu! Depuis le début de la gestion des mesures d’urgence, je dors dans mon bureau de la mairie et un dortoir s’est organisé dans la « salle du caucus » et la salle du conseil afin de combler les besoins d’hébergement de nos équipes et de les garder près et prêtes à intervenir.  Cet atmosphère contribue à consolider l’esprit d’équipe et de camaraderie qui devient un baume essentiel pour le moral de tout un chacun en ces circonstances de stress et de doutes.  Oui, nous avions un plan de mesure d’urgence.  Mais, c’était comme une carte de base, nous avons principalement navigué à vue en vertu des circonstances et des défis qui se présentaient.

Lundi soir le 12 janvier, les génératrices arrivent.  Le convoi est attendu avec joie et empressement.  Nos équipes d’électriciens avec l’aide des militaires se mettent à l’œuvre sans perdre de temps.  La génératrice est si forte que nous la branchons directement sur l’entrée électrique de l’école et alimentons la bâtisse au complet.  Nous n’avions pas ouvert la piscine, afin de nous éviter une source potentielle de problèmes de sécurité et de gestion supplémentaire.  Considérant la force des génératrices, une est installée aux usines d’Ivaco, et l’autre a je crois, été installée à une de nos épiceries afin de relancer ses activités et permettre aux sinistrés de s’approvisionner.

Dès lors, la gestion de nos mesures d’urgence devenait, sans être moins lourde, dénuées d’une source de stress permanente, nous permettant ainsi  d’assumer nos responsabilités quotidiennes en « focussant » sur les besoins de nos citoyennes et citoyens, leur santé, leur sécurité et leur bien-être.

Par la suite, afin de bien coordonner nos actions, une réunion du comité de gestion se tenait à tous les matins à la mairie, où tous les gestionnaires et responsables des services que nous avions mis en place étaient présents pour faire leur rapport des événements de la veille et à venir pour la journée.

Mercredi, le 14 janvier, à 6h30, on m’appelle d’urgence.  Radio-Canada s’en vient et veut m’avoir en direct pour une supposée épidémie de « gastro » et les « conditions inhumaines » au Pavillon Lussier.  Quelqu’un se serait plaint aux médias.  En arrivant, je m’informe de la situation et on m’affirme, qu’il n’y aurait que 2 personnes malades.  On est loin de l’épidémie.  J’informe la journaliste qu’elle n’a pas un gros « topo » avec ça.  Et  c’est là que, sur le coup de l’émotion, je décide de détourner l’attention et après avoir harangué les gestionnaires d’Hydro-Québec je fais ma fameuse déclaration : « Ici c’est la Bosnie » en direct sur les ondes de Radio-Canada.

Ça avait eu de l’effet, puisqu’en avant-midi, j’avais eu un appel d’un gestionnaire d’Hydro-Québec qui tentait de nous rassurer. On continuait de nous affirmer que l’électricité reviendrait bientôt.  Près de 75% du réseau de distribution de la ville était écrasé sous la glace, des rues encore impraticables et les lignes de pylônes affaissées dans une bonne partie de la Montérégie.  Il ne faillait pas être devin pour savoir que la situation était plus que critique et que ça durerait encore pour quelques semaines.

Nous avons donc ajusté nos stratégies et pris notre mal en patience. Communications quotidiennes avec la population, gestion rigoureuse des ressources humaines et des centaines bénévoles, organisation d’activités de loisirs pour les gens hébergés, veille stratégique de nos infrastructures, ont ponctué la suite des jours qui ont suivis, jusqu’au rétablissement de l’électricité sur notre territoire.  Une kyrielle de décisions de gestion, en collégialité aves notre équipe de coordination des mesures d’urgences, ont été prises par la suite pour le bien-être de notre population.

Le 30 janvier, à 19h15, nous levons les mesures d’urgence.  L’électricité est revenue dans l’ensemble de la ville après 3 tentatives de rétablissement qui avaient été prévues initialement le 27 janvier.  Chez nos voisins de Sainte-Marie-de-Monnoir, plusieurs citoyens ont été rebranchés autour du 5 février.

S’en suivi la période de rétablissement, et le lundi 2 février, la ville de Marieville reprenait ses opérations normales.  Mardi, le 3 février à 16h00, la « Mission Marieville » d’Hydro-Québec se terminait et quittait Marieville. Nous avons fêté et souligner l’événement comme il se doit. La présence de la « Mission Marieville » m’avait permis de me réconcilier avec Hydro-Québec par la communication franche et réaliste que nous avions avec le gestionnaire de la mission.  L’école Notre-Dame-de-Fatima redevenait école, alors qu’elle avait été réquisitionnée pendant plus de 2 semaines à titre de « Poste de Commandement de la Mission Marieville » d’Hydro-Québec.  Ce départ mettait un point final au « Grand verglas » pour Marieville.

Ce récit de mes souvenirs se veut exhaustifs.  Beaucoup plus d’informations et d’anecdotes auraient pu être incluses.  Il va s’en dire qu’en ouvrant le centre d’hébergement à « la Polyvalente », et en accueillant tous ces gens, on recréait un microcosme de la ville et tout le potentiel de faits divers et d’événements heureux ou malheureux qui risquaient de survenir et qui sont arrivés! Peut-être feront-elles l’objet d’une autre publication?  Je m’en garde pour le 30e!

Par ailleurs, j’ai écrit ce texte au « je », mais cette gestion réussie des mesures d’urgence du « Grand verglas » aura été un grand « NOUS ».  C’est le résultat d’un conseil municipal, et d’une équipe d’employés et de bénévoles solidaires qui ont fait une grande preuve d’abnégation et d’altruisme pour servir leur communauté.

Aujourd’hui, c’est à toutes ces femmes et tous ces hommes qui ont participé généreusement et sans compter à la gestion de nos mesures d’urgence, à qui je dit encore merci.  Par leur soutien et leur contribution concrète, ils ont permis d’offrir à notre population, sécurité et réconfort.

Merci aussi à nos citoyennes et citoyens de Marieville, qui ont démontré alors, une grande solidarité, un esprit d’entraide humanitaire dont nous pouvons être fiers.  Une discipline aussi, qui nous a permis, comme gestionnaires de mesures d’urgence d’exercer notre travail avec rigueur et facilité, pour le bien-être de l’ensemble de notre belle collectivité.

Finalement, un « gros merci », à cette multitude de personnes de l’extérieur de Marieville, qui ont contribué de différentes façons à soutenir et améliorer le quotidien de nos citoyennes et citoyens affectés par cette situation d’urgence sans précédent.

Vingt-cinq ans plus tard, je n’ai que ces mots pour résumer le « Grand verglas 1998 » : solidarité, humanité, charité, gratitude.

Et, comme j’aime aujourd’hui le rappeler, l’EAU est présente, partout, sous toutes les formes.

Il y a 25 ans, l’EAU en verglas devenait agressive et envahissante tout en se métamorphosant en source de solidarité épanouie par les actions d’humains voulant la maîtriser.

*Sylvain Lapointe, a été maire de Marieville de 1993 à 2002.

Photo ci-contre : Dans le chemin du Ruisseau-Barré, à Marieville. (Reportage photos : Archives André Corbeij © / Tous droits réservés)