Le fort de Chambly sous toutes les couleurs. Celles de Philip-John Bainbrigge

Paul-Henri Hudon

HISTOIRE – Bainbrigge a posé palette et pinceaux sur les bords du bassin de Chambly entre 1838 et 1842 et nous a laissé deux charmantes oeuvres: “View of Fort and Chambly Church”, une fresque d’un brun-noir, nuancée d’eau grise, datée de 1838 et “Pointe Olivier, Beloeil Mountain”, réalisée vers 1841 ou 1842, éclatante d’azur.

Philip-John Bainbrigge (1817-1881), né en Angleterre, fait une carrière dans l’armée britannique. On le trouve militaire (major général ?) dans le régiment des Royal Engineers. Arrivé au Canada en 1836, il y demeurera jusqu’en 1842. Bainbrigge produit des”aquarelles sur mine de plomb avec quelques traces de grattage sur papier“, qui constituent non seulement de charmants tableaux vivants, mais aussi d’intéressantes pages d’histoire. Sa formation d’ingénieur transparait dans ses toiles, lignes parallèles, triangles, reliefs, relevés cartographiques.

Le tableau présente le vieux fort de Chambly (1711), terreux, sombre, en retrait, aligné horizontalement avec la nouvelle église St. Stephen (1820), lumineuse et aérée. Le fort, discret, s’adosse au mont St-Hilaire. L’église dissimule quelques résidences blanchies à la chaux.

Sans négliger le détail, on voit que l’artiste militaire s’intéresse surtout à l’ensemble du paysage. Négligeant l’artifice végétal, il accentue le pittoresque, la beauté du décor. Il s’est attardé à l’activité humaine des débardeurs.

Le bois qu’on charge à sueur d’homme. Tableau réaliste mettant en premier plan, la clôture,  le quai, le voilier en état de chargement, opposé au voilier au repos sur son flanc. Notez la mâture du bateau parfaitement parallèle au cadre du tableau.

Le lecteur reconnaîtra à droite les travaux de creusage du canal laissés en plan. Deux coffrages de bois ancrés dans le bassin, sortes de môles servant à l’abordage des navires, sont aujourd’hui disparus.

Le quai est la propriété de l’hôtelier John Bunker, qui demeure tout près. On observera les casernes militaires (c1814), et la “banlieue” du fort totalement déboisée. Et, dans ses deux oeuvres, les églises et des voiliers.

Quant au paysage bleu illustré par le bassin, l’artiste dessine une montagne fièrement dressée au loin, comme un sphinx, opposée à une clôture fruste en avant-plan. Moitié eau, moitié ciel, tout le panorama est clarté et lumière, calme et sérénité.

Il y a surtout cet étonnant voilier au mât élancé à la verticale, voilure baissée à l’horizontale. Il est gigantesque, comparé à son vis-à-vis le minuscule deux-mâts déployé à droite. On le dirait flottant à peine sur l’eau, comme suspendu.

Bainbrigge a t-il plaqué ce navire comme “rapporteur d’angle” ou axe de démarcation au tiers de son tableau ?  Quel sens l’artiste a t-il voulu donner à cette embarcation ici démesurée, disproportionnée ?

Sources: Archives numérisées de la Société d’histoire de la seigneurie de Chambly. P017- P018. Plusieurs des tableaux de Bainbrigge se trouvent aux Archives Nationales du Canada.

Références: Collectif dirigé par Mario Béland. Didier Prioul, “La peinture au Québec, 1820-1850”, Musée du Québec, 1991, 605 pages.