Pierre-Yves Faucher
MUSIQUE – Être un fan fini d’un groupe musical ou d’un artiste a un petit côté malsain et obsessionnel, mais inoffensif quand on se tient à une bonne distance de l’être idolâtré. Acheter leur musique, assister à leurs concerts, lire des biographies, c’est dans mes cordes. Tapisser ses murs de sous-sol ou de chambre d’affiches, se maquiller comme Kiss, ça peut être considéré comme une phase à l’adolescence, mais dans la soixantaine, je crois que ça nécessite des soins à différents niveaux.
Quand on commence à l’adolescence à tenter d’écrire des chansons comme ses idoles, le manque de confiance en soi nous fait douter du niveau de qualité de la composition. Pour moi, les Beatles ont été mon modèle dès le départ avec des progressions d’accords jusque-là presque jamais entendues auparavant avec également des accords augmentés ou mystérieux comme celui de l’ouverture de la chanson A Hard Days’s Night. Pendant de nombreuses années, j’avais un peu boudé leurs compositions initiales (la période Yeah, Yeah, Yeah) les jugeant trop simplistes. Quand, il y a quelques années de cela, j’ai dû les décortiquer pour en jouer quelques-unes en spectacle, j’ai compris qu’elles n’étaient pas si simples que ça.
Mon obsession, pas si maladive que ça, envers ce groupe, m’a poussé à approfondir ma compréhension du processus créatif et de tout le côté production et réalisation. C’est avec un grand plaisir que j’ai dévoré les mémoires du réalisateur George Martin qui a encadré et accompagné musicalement depuis le début le Fab Four (All You Need Is Ears: The inside personal story of the genius who created The Beatles, 1979). Le parcours professionnel et musical est bien expliqué et parfois difficile à comprendre quand il aborde les questions de production, d’arrangements, de mixage et de techniques d’enregistrement. Par la suite, le documentaire de Mary McCartney « Si ces murs pouvaient chanter » m’a poussé à creuser davantage en puisant des informations dans l’ouvrage de Brian Southall « Abbey Road, the story of the world’s famous recording studios » et tout récemment, dans un ouvrage récent écrit par l’ingénieur de son, Bill Schnee – Chairman at the Board, Recording the Soundtrack of a Generation – un jeu de mots relié au conseil d’administration qui pourrait se traduire librement par « Directeur de la console – l’enregistrement de la bande sonore d’une génération ».
Ce personnage peu connu du public, mais très respecté au sein de l’industrie de la musique aux États-Unis, a réalisé ou mixé plusieurs platines de groupes ou d’artistes solistes qui ont fait leur marque dans le domaine de la musique. Ringo Starr, Barbra Streisand, Steely Dan, les Jackson Five, Boz Scaggs, Huey Lewis, Mark Knopfler (Dire Straits) et Whitney Houston ne sont que quelques-uns des grands talents avec lesquels il a travaillé. Un des aspects de ce livre qui m’a le plus intéressé, c’est toute la question de production, de réalisation et du mixage. Des notions difficiles à comprendre pour les gens qui n’ont jamais côtoyé les coulisses de ce milieu.
Les multiples talents de Gilles Valiquette
En lisant l’ouvrage de Bill Schnee récemment, j’apprends que Gilles Valiquette traite entre autres de ce sujet dans le troisième épisode (sur quatre) de l’émission La chaîne musicale diffusée sur Ici Musique à Radio-Canada tous les dimanches midi du mois de septembre.
L’univers de Gilles Valiquette est particulièrement intéressant pour moi, car il englobe passablement le mien. Fan et grand connaisseur des Beatles, régulièrement sollicité par les médias pour recueillir ses impressions sur toute nouvelle d’importance les concernant, ses compétences en matière de réalisation m’étaient complètement inconnues.
Il raconte qu’il passait six mois par année à enregistrer ses chansons, et l’autre six mois à réaliser des albums pour ses collègues. Il a entre autres travaillé avec Jean Leloup, Céline Dion, les Séguin, Patrick Norman, Daniel Lemire et Plume Latraverse.
Producteur et réalisateur : deux rôles très différents
Il précise le rôle des professionnels assignés à chaque étape de la production d’un disque. Le producteur est celui qui paye et qui engage le réalisateur avec le consentement de l’artiste et du gérant. Le réalisateur est responsable de la direction artistique et technique. La plupart des groupes dans les années 60 et 70 jouaient leurs propres instruments. Dans le cas des solistes qui ne faisaient pas partie d’un groupe, le réalisateur devait recruter les meilleurs musiciens disponibles pour les accompagner en studio et créer la chimie nécessaire au résultat attendu. S’il a pleine latitude et la confiance du producteur, il choisit le studio, place les micros, engage les musiciens s’il y a lieu et il donne son avis sur les rendus musicaux.
La réalisation et le mixage
Le réalisateur peut remplir également une autre fonction soit celle du mixage. Attablé à la console, il est un créateur à part entière qui rassemble les différentes composantes enregistrées et met en valeur la voix de l’interprète ou de certains instruments.
Gilles Valiquette ajoute que le terme producteur (producer) a longtemps été utilisé à tort au Québec pour identifier le réalisateur. C’est qu’aux États-Unis et au Canada anglais, le terme englobe les tâches du réalisateur. Les albums sont financés par la compagnie de disque qui peut faire signer des contrats à long terme aux artistes et déchirer l’entente à tout moment si les ventes ne sont pas au rendez-vous.
Ces quatre émissions animées par Gilles Valiquette sur la Chaîne musicale m’ont donné le goût de connaître encore mieux l’aspect show et business du milieu musical au Québec. Je verrais bien une biographie dans son cas tout comme dans le cas d’André Perry, le maître incontesté de la console d’enregistrement (Le Studio de Morin Heights). Il faut revoir aussi le documentaire Jukebox : un rêve américain fait au Québec sur la carrière de Denis Pantis qui dirigeait une usine très efficace de fabrication de vedettes.
Avec la venue des logiciels d’enregistrement et des ordinateurs très puissants qui sont devenus abordables avec le temps, beaucoup d’artistes enregistrent maintenant dans leur studio personnel des maquettes d’un niveau de qualité très élevé (préproduction) qu’il suffit de peaufiner par la suite dans un studio haut de gamme. Mais en y mettant du temps et en profitant de leurs amis musiciens, certains en arrivent à créer des pièces musicales de très haute qualité qui se retrouvent directement sur toutes les plateformes numériques.
L’intelligence artificielle et les Beatles
Quel sera l’apport de l’intelligence artificielle dans les prochaines années? Une question qui serait intéressante à examiner dans un proche avenir. D’ici là, on attend avec impatience ce qu’elle aura apporté à la nouvelle et dernière chanson des Beatles qui sera publiée d’ici la fin de l’année.
Il s’agirait d’une composition de John Lennon intitulée Now and Then datant de 1978 et enregistrée sur une cassette en 1979, chez lui au Dakota à New York. Cette chanson a été envisagée pour faire partie de l’Anthologie en 1995. Les trois musiciens survivants y ont renoncé car le niveau de pollution sonore était très élevé et que la technologie de cette époque ne permettait pas de réaliser les miracles d’aujourd’hui. Grâce à l’intelligence artificielle, ils ont réussi à isoler la voix de Lennon de l’accompagnement musical et à la purifier pour mixer l’enregistrement. Ils ont conservé une guitare jouée à l’époque par George Harrison et Paul McCartney et Ringo Starr sont retournés récemment en studio pour compléter le tout.
Fan fini, vous dites ?