Lise Perreault
ENVIRONNEMENT – Un tel titre peut sembler prétentieux. Ce n’est pas comme si je le connaissais, Hubert Reeves… quoique… si, je le connais. Par ce qu’il nous a légué. De beau. De grand. À la mesure de la Planète. Par ce qu’il nous lègue encore.
Avec lui, je partage l’espoir, la lucidité. Comme lui, j’observe à petite échelle. Je sais ce qui a disparu depuis 25 ans que j’habite cette campagne qui a perdu de sa beauté.
À Saint-Mathias-sur-Richelieu, depuis ma roche bordant la Rivière des Hurons, j’observe, comme Hubert, près de l’étang à Malicorne, en Bourgogne, depuis Le banc du temps qui passe. De ce livre, s’ajoutant à la foisonnante bibliographie de l’astrophysicien d’origine québécoise, est né le film La Terre vue du cœur.
En ces temps incertains où l’on cause missiles, c’est le box-office qui devrait exploser. Si on s’offrait une sortie de circonstance gravitant autour du 22 avril? Pour saluer le Jour de la Terre, direction cinéma : La Terre vue du cœur!
La Terre que n’importe quel humain a le loisir d’observer, d’où qu’il soit. Et ce faisant, comment ne pas être fasciné par la beauté de la Planète?
Beautés à regarder… Le champ de fleurs sauvages était si vivant, ensorcelé par une aura de papillons, leur vol froufroutant survolant le champ en face de la maison. Moins de fleurs sauvages… Je ne vois plus guère de monarques, privé de l’asclépiade, son lait, sa nourriture, il s’éteint. Au creux d’un fossé, l’épi de velours brun d’une rarissime quenouille me rend nostalgique.
Des années que je n’ai aperçu le renard roux, la finesse de son museau, la prudence de ses déplacements, sa curiosité qui sait prendre une distance. On s’observait mutuellement, lui, à l’orée du bois, moi, sur ma balançoire, délaissant mon livre au profit de sa rousseur flamboyante sur la verdeur ombrée du sous-bois.
La beauté des sons s’épuise et cette désertion de l’effervescence musicale m’afflige ; tellement moins d’oiseaux. Comme pour Hubert Reeves, la musique m’est inestimable, et celle spontanée de la nature est si heureuse! Je n’entends plus, l’été, de symphonies au petit matin, que des piaillements éparpillés, non plus de concerts de grenouilles à la tombée de la nuit.
C’était si chantant, quand les arbres étaient en fleurs, le bourdonnement des abeilles, dont le boisé, entier vibrait. Fini, le clapotement sonore des jours durant, plus revue la fraie qui jaillissait de la Rivière des Hurons. De joyeuses gouttelettes étincelaient en parcelles de soleil liquide, ça frétillaient avec les poissons au-dessus de la rivière comme jusqu’au pied du Mont Saint-Hilaire là-bas.
Et nos frênes qui tombent en une véritable hécatombe, la rive entière se dégarnie. Privés de la lumière filtrée par l’ombre des arbres, les phlox sauvages s’étiolent, et s’effacent leurs frises de dentelles rose, mauves et blanches comme sur une toile de Monet.
Je crois, comme Hubert Reeves, que la vie est toujours un mystère, lui, l’astrophysicien qui en sait tellement plus long que moi! Je mets aussi en relation science et poésie et sais comme lui, lui qui voudrait « réenchanter le monde », qu’il faut aimer la Terre pour mieux en prendre soin.
J’ai sa lucidité et, comme lui, m’inquiète la rareté des libellules, l’absence du ver de terre dont la disparition menace la fertilité des sols. Je vis la même période historique qui fait poindre sous notre nez la sixième extinction des espèces et, comme lui, j’en ai conscience. Alors, j’ai comme lui l’espoir qu’une prise de conscience universelle peut encore changer la donne et permettre un avenir plus vert à nos enfants.
Je pense aussi que la biodiversité est inégalable et garante de vie, que chaque espèce dont la lignée terrienne est sauve clame une victoire. Je vois l’interdépendance des êtres vivant sur la Terre.
Je pense aussi que « Si on n’arrive pas à concilier l’économie et l’écologie, on est foutus. » Et comme lui, je me réjouis que les banques commencent à désinvestir dans les énergies fossiles (Voir Le Montérégien, chronique À quand la réaction en chaîne? 25 janvier 2018).
Je n’ai pas peur de dire que j’ai une grande parenté d’esprit, oserais-je même dire d’âme, avec cet avant-gardiste qui se penchait sur le changement climatique alors que j’avais encore un pied dans l’adolescence, qui était tenu sous le charme de la « splendeur et de l’intelligibilité de l’univers » et s’émerveillait d’apprendre les étoiles quand j’étais encore au berceau. Parce que ses paroles font écho en moi, ses idées résonnent dans ma tête avec une familiarité rassurante, pas peur d’être prétentieuse, car Hubert Reeves est un humain affranchi qui aime ses semblables, et ce qu’il fait, c’est pour le bien de l’humanité.
Qui le veut peut se solidariser avec ce grand homme. C’est manifestement l’un de ses souhaits le plus profond : que la famille humaine emprunte la voie qu’il nous désigne sans prêchi-prêcha, par simple évidence des gestes posés.
Mais je n’ai encore ni la sagesse ni la sérénité qui semblent habitées le bel octogénaire devant le grave constat de la destruction. Il faudra bien pourtant que mon espoir prenne le dessus sur l’inquiétude et la tristesse. Alors, si devant ces disparitions crève-cœur, ce rétrécissement de la biodiversité que je constate à l’œil nu, pleins de gens se disaient « Hubert Reeves et moi », ça m’allégerait, car de lui emboîter le pas fera toute la différence.
C’est d’ailleurs bien démarré, puisque les luttes qui actuellement monopolisent le plus de citoyens sur la Planète sont précisément celles qui cherchent à la préserver. Nous sommes apparemment de plus en plus nombreux à considérer que survie de la Planète et biodiversité nous concerne tous.
Curieux que l’on retrouve le mot rêve dans Reeves… et au pluriel! Le rêve, orienté par la lucidité, est prometteur. Lui qui a vu de fantastiques explosions d’étoiles projeter dans l’espace, avec une force inouïe, des moissons d’atomes multicolores, lui qui, horrifié devant les amas de cadavres dans les camps d’exterminations, fut envahi d’un sentiment de grande perplexité, dira : « Du choc de ces visions contradictoires est née en moi une nouvelle idée de notre existence. Il y a quelque chose à faire de ces quelques décennies que la nature nous accorde : prendre résolument, et sans faillir, le parti d’embellir la réalité. »
Et si nous rêvions au pluriel? À voix haute.
Si nous essayions d’être son porte-voix?