Paul-Henri Hudon
HISTOIRE – Il était pour le moins inconvenant qu’une dame s’installe dans une chambrette militaire du fort de Chambly. Ce milieu pour soldats, vus comme rustauds et gaillards, pouvait prêter à équivoque. Imaginez les commentaires.
Or, Louise de Ramezay (1705-1776) célibataire de 40 ans, et Mme de Rouville (de son nom de veuve Marie-Anne Legras (1696-1776), presque la cinquantaine, y sont installées en 1745.
Elles sont “toutes deux demeurant actuellement dans le fort de Chambly“, en plein décembre, écrit le notaire. (Gervais Hodiesne, 20 décembre 1745. Marché pour la construction d’un moulin).
Pourquoi ne recevait-on pas la “très noble” demoiselle de Ramezay dans la résidence du seigneur Boucher de Niverville ? Ou chez l’un des capitaines de milice, soit Charles Legrain ou Antoine Ménard ?
Louise de Ramezay
Il y a aussi en 1752, Mme Barbe Margane de Lavaltrie (1680-1766), veuve du coseigneur Claude Hertel de Beaulac (1682-1747), “à qui l’on a accordé un logement dans le fort” (François Miville-Deschênes, p. 34). Ce privilège lui fut-il accordé parce que son mari est décédé alors qu’il était le commandant de ce fort ?
Serait-ce parce que son premier mari le chevalier Étienne de Bragelone (Braguelogne) y avait été officier (Simonet, 10 et 13 novembre1737) pendant plusieurs années ? Ou parce que son beau-frère Paul d’Ailleboust (marié à Louise Margane) y avait été commandant ? Cette veuve déclarait “n’avoir aucun bien” en 1765.
Mme veuve de Beaulac pouvait cependant se justifier d’une certaine noblesse. Comment peut-on jeter dehors une veuve si méritante ? Le corps de “l’honorable personne” Barbe Lavaltrie de Beaulac sera inhumée dans le cimetière de Chambly, “âgée de 94 ans” (sic), le 3 août 1766.
René Robineau de Portneuf, (1659-1726) époux de Marguerite Daneau de Muy, fille de Nicolas Daneau de Muy et de Marguerite Boucher, est commandant au fort de Chambly en 1725 (Registre de StJoseph, 30 novembre1725) Mme de Portneuf et le commandant font baptiser Étienne de Portneuf le 30 novembre 1725. Demeuraient-ils dans le fort de Chambly? Mme de Muy aurait-elle accouché dans le fort?
Par ailleurs, des civils signent des contrats d’affaires dans le fort. Le seigneur Jean-Baptiste Boucher, sieur de Niverville et officier dans les troupes d’un détachement de la marine, convoque parfois au fort des censitaires désireux d’obtenir des terres. Les contrats de concessions, qui s’échelonnent du 10 au 24 novembre 1737 (notaire François Simonet), “sont passés dans le fort du dit lieu en la chambre de M. de Niverville, officier du fort“, écrit le notaire.
Entre autres, il y rédige une concession devant notaire en faveur de Jacques Poyer dit la Pintade, “sergent dans les troupes. Fait et passé dans une des salles du fort de Chambly en laquelle habite le sieur Villefranche, sergent dans les troupes…” (Gervais Hodiesne, 8 novembre1746).
Le sieur Antoine Grisé dit Villefranche est dit major de milice et marchand négociant. Jean-Baptiste Hertel de Rouville, capitaine d’une compagnie du détachement de la marine, signe la concession d’un lot à Claude Gogues (Goguette), “fait au fort de Chambly“, le 10 mars 1760 (Antoine Grisé).
Jean-Marie Nolan, négociant de Montréal, y rédige son testament en faveur de Charles-François de Mézières, le commandant du fort. (Gervais Hodiesne, 19 mai 1743). Mézières avait épousé Louise-Suzanne Nolan, frère de Jean-Marie Nolan.
Enfin on mentionne Toussaint Ferrière, garde magasin du fort de Chambly et y demeurant, veuf de feue Louise Brunet (notaire Pétrimoulx, 20 janvier 1813).
Références: Louis Franquet, Voyages et mémoire sur le Canada, p. 88
François Miville-Deschênes, Quand ils ne faisaient pas la guerre, Parcs Canada, 1987, 113 pages.
Cyrille Gélinas, Le rôle du fort de Chambly dans le développement de la Nouvelle-France de 1665 à 1760, Parcs Canada, 1983, 79 pages.
Réal Fortin, Louise de Ramezay et son moulin à scie, Les Cahiers du Septentrion, 2009, 211 pages.