Charles Fraser-Guay
CINÉMA – À l’époque de sa sortie en salle, en 1982, le film « Blade Runner », librement adapté d’un roman de Phillipe K. Dick et réalisé par Ridley Scott, avait révolutionné le genre. Le film mélangeait allégrement les styles. Il intégrait, entre autres, des éléments du film noir et policier à un monde résolument futuriste. Les références aux préceptes du « no-future punk », populaire durant cette même période, étaient une nouveauté.
Cette vision sombre et désespérée du futur a d’ailleurs donné naissance au genre cyberpunk, à des lieux de l’évocation idyllique véhiculée par la génération antérieure. Dans la version originale, le spectateur suivait les tribulations d’un ancien policier nommé Dick Deckard (Harrison Ford), engagé pour traquer et assassiner un groupe de réplicants.
Ces androïdes souhaitaient éviter leur obsolescence programmée. Ils étaient donc à la cherche de leur créateur.Le questionnement à la base du film était fort intéressant et aurait pu se résumer ainsi : qu’est-ce qui fait de nous des humains, dans un monde où l’humain s’approche dangereusement de la machine et la machine, de l’homme? Le film posait de bonnes questions sans nécessairement nous donner les réponses. Cette œuvre monumentale, malgré son échec commercial, est devenue, avec les années, un incontournable du cinéma au même titre que « Brazil » ou « 2001, L’odyssée de l’espace ».
Les attentes étaient donc particulièrement élevées lorsque la suite fut annoncée en grande pompe. Bien entendu, la décision de la compagnie de production d’engager le réalisateur Denis Villeneuve a rassuré les plus pessimistes d’entre nous. Force est d’admettre que nous avions vu juste.
En 2049, 30 ans après les évènements du premier opus, dans un monde déclinant, il est maintenant quasiment impossible de faire la différence entre humains et machines. Le test Voight-Kampff, sorte de détecteur de mensonges pour réplicants, est tombé en désuétude, sauf pour débusquer les vieux modèles d’androïdes. Les humains se terrent dans les bidonvilles surpeuplés d’un Los Angeles « niponisé ». Cette fois-ci, nous suivons l’agent K, un Blade Runner chargé d’éliminer les anciens modèles, maintenant de plus en plus rares.
Différence notoire avec le premier film, l’agent K est lui-même un réplicant. Ce Blade Runner, personnifié par un Ryan Gosling en mode minimaliste (ce n’est pas négatif), découvre, lors d’une mission, le squelette d’un ancien modèle vieux de plus de trente ans. Son supérieur lui demande alors de faire enquête dans l’espoir de découvrir l’identité du défunt. Commence ainsi le voyage initiatique du héros.
Durant la première heure du film, Denis Villeneuve s’emploie, avec finesse et minutie, à bâtir monde incroyablement riche et foisonnant. La musique d’Hans Zimmer, sorte d’hommage à celle de Vangelis, est omniprésente et envoûtante. L’utilisation du « surround » renforce l’atmosphère très marquée du film. Blade Runner, vous l’aurez deviné, s’éloigne des codes habituels en privilégiant un rythme lent, presque hypnotique. La réalisation n’est pas saccadée. Point ici de shaky cam, ces coupes continuelles qui rendent les films actuels totalement confus et sans réelles structures. Le réalisateur façonne le film à son image. Nous y retrouvons sa touche singulière.
Les images sont d’une beauté à couper le souffle. Pour le cinéphile averti, son approche de la réalisation est quasiment mathématique. Ses cadrages sont symétriques et nous avons souvent l’impression d’être littéralement avalés par ses plans panoramiques. Roger Deaking, directeur de la photographie, et Dennis Gasner, décorateur en chef, ont créé de véritables plans-tableaux, tout en respectant l’esthétisme du film initial. Nous avons parfois l’étrange impression de revisiter « THX 1138 » de George Lucas ou « Solaris » et « Stalker » de Tarkovski. L’aspect politico-social de l’histoire est aussi extrêmement crédible. Ce Blade Runner pourrait s’apparenter à notre futur.
Élément intéressant, les humains sont pratiquement absents du film. Ils sont soit membres d’une caste privilégiée ou condamnés à survivre dans des conditions effroyables. Sans espoir, ils se replient dans un monde alternatif, glorifiant un passé révolu. La scène surréaliste se déroulant dans une salle de spectacle abandonnée où apparaît simultanément l’hologramme d’Elvis et de Marylin Monroe en est une preuve patente. Le constat est implacable. L’être humain a créé d’incroyables machines pensantes, mais aveuglé par sa propre cupidité, il a détruit l’environnement, condamnant ainsi la pérennité même de l’espèce.
Les scénaristes, forts de ce constat, sont parvenus à maintenir une grande cohérence dans la trame narrative des deux histoires. Elles s’entremêlent l’une dans l’autre avec symbiose. La difficulté était sans doute de taille, vu le grand nombre d’années séparant la création des deux films. Autre preuve de l’apport majeur de Denis Villeneuve au film, les personnages féminins sont éloignés des stéréotypes habituels.
Ces femmes ne sont pas des faire-valoir unidimensionnels. Luv, l’assistante glaciale de Wallace, interprétée par Sylvia Hoeks, recherche l’acceptation de son créateur alors que Joi, l’amoureuse préprogrammée de l’agent K, désire s’affranchir des contraintes inhérentes à son état. Elles sont fortes et leur psychologie est bien développée.
Après la deuxième heure, le film devient cependant plus générique dans sa forme et manque de souffle. Les scénaristes ont voulu complexifier inutilement l’histoire, en y ajoutant une couche de philosophie un peu vaseuse. À titre d’exemple, le prêchi-prêcha de Neander Wallace durant sa rencontre avec Dick Deckard est inutilement long et confus. D’ailleurs, la confrontation finale, bien que superbement filmée, manque de rythme.
En conclusion, sans être un chef-d’œuvre absolu, « Blade Runner 2049 » répond pleinement aux attentes des amateurs. Denis Villeneuve réussit une tâche quasiment impossible. Il respecte la mythologie initiale de l’œuvre et élargit les nombreux questionnements sur le transhumanisme, l’impact de l’humain sur l’environnement, la quête d’identité dans un monde global et l’isolement social.Le réalisateur nous offre ici un film contemplatif, mélancolique, où les personnages se montrent hantés par la mort tout en étant incapables de se soustraire aux prédéterminismes de leur propre condition.