Charles Fraser-Guay
CINÉMA – Chronique d’une époque, mais surtout film initiatique sur l’évolution d’un adolescent, « Les femmes du 20e siècle » est l’un de ces bijoux cinématographiques méconnus. Ce long métrage mérite notre attention. Truculent, extrêmement sympathique et surtout fort en réflexions diverses, nous y suivons le parcours de Jamie, un garçon sensible et intelligent, éduqué essentiellement par des femmes. Le film débute d’ailleurs avec l’incendie de l’ancienne voiture paternelle, symbole clair renvoyant à la mort du père.
Ce film aux propos féministes aborde des sujets d’actualité, en cette période de « moi aussi ». Il dresse, d’abord et avant tout, le portrait de trois femmes de générations différentes, mais unies dans leur désir de faire de Jamie « un homme bien », un souhait sans doute universel chez les parents.
Nous sommes durant l’été 1979, à Santa Barbara, période charnière marquée par l’émergence du « No future », du « punk » et d’un consumérisme extrême. Jamie, du haut de ses quinze ans, commence à s’affranchir de sa mère, Dorothea, une femme ouverte, mais fondamentalement seule. Désemparée par cette solitude et en perte de repères, cette cinquantenaire fait appel à Abbie, une artiste qui réside dans sa maison, ainsi qu’à Julie, une amie délurée de son fils pour parfaire l’éducation de celui-ci.
Mike Mills, le réalisateur, poursuit une réflexion déjà entamée avec “Beginners” sur la complexité des rapports filiaux. Dans “Beginners”, le père était mis de l’avant, alors que dans « Les femmes du 20e siècle », c’est la mère, et plus largement les femmes, qui sont au centre de l’histoire. Le scénario n’est pas nécessairement original : le thème a déjà été mille fois exploité, mais les dialogues sont savoureux et colorés. Le film, dans sa globalité, du montage au cadrage, en passant par l’esthétisme, semble avoir été longuement réfléchi. Le travelling de la première scène, où la caméra survole Santa Barbara, est à ce niveau révélateur du reste de l’œuvre. La bande sonore de Roger Neil est sublime et nous incite à nous replonger dans nos vieux vinyles de « Talking Heads » et de « The Raincoats ».
Le réalisateur utilise, encore une fois, une profusion d’images d’archives. Ces images ancrent le film dans son époque. Il est d’ailleurs intéressant d’écouter le discours dit « du malaise » de Jimmy Carter pour réaliser à quel point le président de l’époque avait vu juste. Mills fait aussi le choix d’utiliser des voix hors champ. Cette technique renforce le lien émotif des spectateurs à l’égard des personnages principaux.
Annette Bening est extrêmement touchante dans le rôle de cette mère excentrique, fondamentalement aimante, désireuse du meilleur pour son fils, mais ayant sa part d’ombre. Ouverte d’esprit lorsqu’il est question de Jamie, elle se referme lorsque celui-ci tente de percer sa carapace. Greta Gerwig, l’interprète d’Abbie, nous prouve encore une fois pourquoi plusieurs critiques la considèrent comme la reine du cinéma indépendant. Elle est pétillante d’intelligence et de vitalité. Il en est de même pour Elle Fanning, qui incarne une Julie frondeuse et rebelle.
Seule ombre au tableau, le film s’essouffle passablement vers la fin. La conclusion n’a pas le mordant, par exemple, d’un « Little miss sunshine » ou l’émotivité d’un « Captain Fantastic ». Mike Mills, en manque d’idées, semble avoir égaré les derniers morceaux de son casse-tête scénaristique. Il abandonne ses personnages à leur sort, sans vraiment s’attarder sur leur évolution psychologique. Le réalisateur utilise une nouvelle fois la voix hors champ de Jamie. Pourtant, cette fois, au lieu de rajouter de la couleur à l’histoire, cette technique renforce cette impression de précipitation.
Réflexion intéressante, les trois femmes, Dorothea, Abbie et Julie, personnages centraux de l’histoire, sont toutes individuellement représentatives d’une certaine forme de féminisme. Dorothea pourrait sans doute être considérée comme à cheval entre la première et la deuxième vague. Elle a dû se battre pour le droit au travail, pour l’éducation et pour l’égalité des sexes. Une fois par semaine, elle note sur une feuille l’évolution de ses actions à la bourse et travaille dans un milieu essentiellement d’hommes, signe d’une certaine forme d’émancipation. Abbie, légèrement plus radicale, paraît particulièrement intéressée par la libéralisation des mœurs et par le rejet du système actuel. Elle a intériorisé les codes du nihilisme punk dans son art, tout en recherchant inconsciemment une certaine forme de conformisme. Julie, encore adolescente, est la première bénéficiaire des batailles des générations antérieures, mais elle semble profondément désorientée par ces transformations. Hypersexualisée, à la recherche de nouveaux repères, elle témoigne d’un féminisme en crise.
En terminant, la libération de la parole actuelle chez les femmes nous amène à nous poser la question suivante : quelle sera la prochaine étape? À notre avis, le film « Les femmes du 20e siècle » offre une réponse partielle à cette interrogation.
L’apprentissage du respect chez l’homme, outre le rôle fondamental du père, nécessite d’abord et avant tout l’apport des femmes elles-mêmes. Quelle belle source d’inspiration pour les jeunes filles d’aujourd’hui de voir leurs aînées prendre la parole et refuser l’inacceptable. Cette dénonciation mènera nécessairement à un dialogue. On dit souvent qu’il faut un village pour élever un enfant. Jamie ne découvre pas nécessairement le respect de l’autre et l’acceptation du non par lui-même. Il a la chance de compter sur l’amour, l’ouverture d’esprit et l’éducation de Dorothea, d’Abbie et de Julie, trois femmes merveilleuses, trois femmes représentatives des féministes du 20e siècle.