La Beatlemania encore vivante : de la grande musique et un bon gérant

Pierre-Yves Faucher

MUSIQUE – Actuellement, on entend parler que de la Swiftomania qui déferle à la grandeur de la planète. Comme on le sait, ce n’est pas la première « mania ». Dans les années 1950 et 1960, des émeutes et de l’arrachage de chemises mettaient en cause entre autres Frank Sinatra et Elvis Presley aux États-Unis et au Québec, c’était la folie furieuse envers Michel Louvain et les Baronets. Mais qu’en est-il de la Beatlemania aujourd’hui ?

Les quatre garçons dans le vent plus populaires que jamais

Comment expliquer cet engouement envers le groupe alors qu’il s’est dissous en 1970 ? Dans un article du Guardian paru en septembre 2024, le journaliste Andrew Pulver cite le critique musical britannique Peter Paphides qui explique l’engouement actuel envers le Fab Four.

Pour lui, c’est un peu la plus merveilleuse histoire jamais racontée. On connaît tous l’arc narratif qui comprend l’amitié, l’amour et de la musique incroyable. Toute la condition humaine y est incarnée. Il émet l’hypothèse que les jeunes d’aujourd’hui qui s’intéressent à la musique des groupes à guitares émergents britanniques sont susceptibles de considérer les Beatles comme un groupe toujours vivant. Et en même temps, leurs parents ont continué de les aimer.

De plus, les deux survivants contribuent actuellement à garder la légende bien vivante. Paul McCartney et Ringo Starr sont encore en tournée respectivement à 82 ans et à 84 ans.

L’industrie du cinéma considère qu’ils sont plus pertinents que jamais

L’industrie du cinéma considère que l’intérêt envers le groupe ne s’est pas estompé. La stratégie d’Apple Corps, l’entité qui contrôle les aspects commerciaux de la marque Beatles, la maintient dans l’œil du public en rééditant les albums et en produisant des films à leur sujet.  Le dernier en date est Beatles 64 qui documente l’arrivée des Beatles en Amérique.

Le documentaire produit par Martin Scorsese sera disponible en lecture en continu sur Disney+ à partir du 29 novembre prochain. Sorti récemment dans les cinémas montréalais, One Hand Clapping nous présente une captation en direct de Paul McCartney en studio avec son groupe Wings au début des années 1970. De plus, le réalisateur oscarisé Morgan Neville prépare un documentaire sur la carrière solo de Sir Paul (Man on the Run). On nous annonce également la production de quatre films biographiques concernant les Beatles individuellement réalisés par Sam Mendes (Skyfall, Spectre, 1917). En tournage en 2025, ils seront mis en marché en 2027.

Un autre film biographique

Quand on pense que le filon s’épuise, on passe à l’entourage immédiat du groupe. C’est maintenant leur gérant Brian Epstein qui fait l’objet d’un film biographique intitulé Midas Man, un titre inspiré par le roi de Phrygie, héros de plusieurs mythes relatifs à sa faculté de transformer en or tout ce qu’il touchait. Le film retrace l’ascension de Brian Epstein en tant que gérant d’une série d’artistes populaires, dont les Beatles, Cilla Black et Gerry and the Pacemakers, avant sa mort soudaine en 1967 à l’âge de 32 ans.

Le long métrage a été présenté le 30 mai dernier au Festival du film juif de Toronto (TJFF) lors de la soirée d’ouverture. Il est actuellement disponible sur Amazon Prime Video seulement au Royaume-Uni pour le moment. Aucune date n’a encore été dévoilée pour sa parution en Amérique du Nord.

Le véritable 5e Beatle

On a longtemps consacré le réalisateur George Martin comme étant le cinquième Beatle. Mais au fond, cette appellation colle mieux à Brian Epstein, le gérant qui a cru en eux et qui a mis tous les jalons en place pour les orienter vers une carrière internationale. Il a fait l’objet d’une biographie parue en 1989 rédigée par le très respecté Ray Coleman (Brian Epstein : the Man Who Made the Beatles) et un écrivain fantôme a prêté ses talents de rédacteur à Brian Epstein pour écrire son autobiographie A cellarful of noise.

Epstein est né en 1934 dans une famille de commerçants prospères de Liverpool qui possédait une chaîne de magasins de meuble. Il connaît une jeunesse difficile, détestant l’école, ses séjours dans les établissements scolaires étant ponctués de renvois successifs et de départs volontaires où seulement les arts l’intéressaient.

Au plan personnel, son homosexualité non assumée contribuait à son mal de vivre. Il faut comprendre qu’elle était illégale à cette époque, ce n’est qu’en 1967 (année de sa mort) que le gouvernement d’Harold Wilson appliqua de multiples réformes sociales, dont la  dépénalisation de l’homosexualité dans un mouvement qui annonçait une société plus permissive.

Il commença à travailler pour ses parents à l’âge de 16 ans alors que son père perçoit chez lui un certain talent pour la vente. Cinq ans plus tard, il dirige la division NEMS Limited (North End Music Stores) spécialisée dans la vente au détail de partitions et d’instruments de musique. Il rêve d’une carrière théâtrale et s’inscrit à l’Académie royale d’art dramatique de Londres. Cependant, il s’aperçoit assez rapidement qu’il n’a pas l’aisance et la prestance nécessaire pour le métier d’acteur. En 1957, il revient travailler à Liverpool pour lancer le service de vente au détail de disques des succursales de la société NEMS.

La scène musicale de Liverpool au début des années 1960

Au début des années 1960, contrairement aux deux générations qui suivirent, les adolescents avaient un pouvoir d’achat négligeable, mais avaient un véritable attrait envers les arts. La scène musicale de Liverpool est effervescente, les jeunes débordaient de créativité.

On dénombrait plus de 300 groupes de musique pop. Le répertoire de ces groupes qui se produisaient dans les clubs qui ne servaient que des boissons gazeuses, du thé et du café comprenait des chansons d’Elvis Presley, de Little Richard, de Chuck Berry et de Buddy Holly. Alors qu’à Londres, on en avait que pour les ballades sentimentales sans grand intérêt de Pat Boone et de Bobby Vee (le rock et le blues viendront un peu plus tard), et que les provinces vivaient un boom de jazz traditionnel, de jeunes groupes pop s’inspiraient du rock’n roll américain pour créer le genre musical Mersey Beat.

L’étincelle qui créa la légende

Le 28 octobre 1961, l’étincelle qui créa la légende s’est allumée alors qu’un jeune de 18 ans entra dans une succursale du magasin de disques NEMS à Liverpool et demande une copie du disque My Bonnie enregistré en Allemagne par Tony Sheridan and the Beatles. Plusieurs autres demandes se sont répétées dans les jours qui suivirent. Il n’en fallait pas plus pour piquer la curiosité de Brian Epstein et activer des recherches actives alimentées par son zèle habituel pour satisfaire tous ses clients.

C’est dans la revue Mersey Beat qui couvrait les activités des groupes musicaux locaux et des grandes vedettes qui se produisaient à Liverpool que Brian Epstein prend connaissance des Beatles. Ceux-ci faisaient souvent la «Une» avec des photos du groupe et le magazine publiait des textes de John Lennon.

Il se rendit à la Cavern le 9 novembre 1961 pour voir une de leur prestation. Il leur propose de devenir leur gérant, même s’il n’a aucune expérience en gérance de groupe. Le 24 janvier 1962, ils signent un contrat de gérance avec Brian Epstein. Les Beatles lui font confiance et Epstein entreprend rapidement des démarches pour leur décrocher un contrat de disques. Après avoir été refusés par toutes les compagnies de disques de Londres, ils signent le 9 mai 1962, un contrat avec l’étiquette Parlophone de la firme EMI que dirigeait George Martin.

Un lien de confiance s’est établi assez tôt avec lui, son comportement et son allure raffinée contrastaient énormément avec les autres agents d’artistes qui ne voyaient ces groupes au succès éphémère que des vaches à lait pour faire un profit rapidement.  Les Beatles ont accepté les conditions de mise en marché de leur gérant. Ils délaissent les habits de cuir pour adopter un style plus épuré et modifient leur attitude de mauvais garçons sur scène pour se rendre accessibles à un plus large public.

Il a travaillé avec acharnement pour leur établir une carrière internationale à une époque où l’industrie de la musique pop n’en était qu’à ses débuts. Il a bâti un empire dans l’industrie du spectacle en louant entre autres un théâtre (Saville Theater) à Londres pour y produire des groupes de musique pop et des pièces de théâtre. Ayant plusieurs artistes sous son aile, les Beatles sont cependant toujours passés en premier. Figure prédominante du Swingin’ London des années 1960, faisant preuve d’un grand charme personnel, c’était cependant un homme timide avec très peu d’amis aux prises avec la dépression vers la fin de sa vie.

ll a été retrouvé sans vie chez lui, victime d’une surdose de somnifères le 27 août 1967. Le verdict de mort accidentelle prononcé par le coroner n’a jamais été mis en doute.

Ce sont ses talents d’homme d’affaires combinés à ceux du réalisateur  George Martin qui ont contribué à créer la légende qui survivra pendant plusieurs générations à venir.

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Comme lecture, je vous propose la biographie de Brian Epstein, The Man who Made the Beatles par Ray Coleman (1989).

Midas Man, film biographique réalisé par Joe Stephenson (2024). Disponible sur Prime Time Video (date de sortie indéterminée en Amérique du Nord).

Pour en savoir davantage sur la Beatlemania et sur l’invasion britannique en Amérique menée par les Beatles, je vous invite à écouter sur Youtube le podcast auquel j’ai participé à l’invitation de Serge Savoie.

https://www.youtube.com/watch?v=qevljb9BaRQ