Charles Fraser-Guay
CINÉMA – Film de voyage, film initiatique, façonné dans le même moule que « L’auberge espagnole », « 1991 » de Ricardo Trogi est l’un de ces films d’été qui remplit parfaitement bien son rôle. Il parvient à nous divertir et à nous faire rire, sans jamais forcer la note.
Le réalisateur conserve le canevas des opus précédents. Son principal sujet d’observation demeure sa propre personne. Une scène résume bien cette démarche. Au début du film, son alter ego assiste à un cours sur la scénarisation à l’UQAM. L’enseignant conseille à ses étudiants de parler d’abord d’eux-mêmes…
Après trois films basés sur sa jeunesse, nous pouvons dire que Ricardo Trogi a bien saisi le message. Comme pour « 1981 » et pour « 1987 », nous suivons ses tribulations à une période charnière de sa vie. Cette fois-ci, il cherchera, par le voyage, à s’émanciper de sa famille et à définir l’adulte qu’il deviendra.
Dans « 1991 », Ricardo est maintenant âgé de 21 ans. Il est toujours à la recherche du grand amour. Il croit l’avoir enfin trouvé en la personne de Marie-Ève Bernard. Obnubilé par celle-ci, il acceptera de la rejoindre à l’université de Perugia, en Italie, afin de suivre des cours d’italien.
Cette prémisse simple, mais efficace, permet au réalisateur d’extraire son personnage de sa zone de confort. Ricardo vivra une série de mésaventures loufoques, mésaventures familières à bien des voyageurs : perte du passeport, choc culturel, etc. En cour de route, il croisera Arturo, un vagabond sympathique qui le suivra pendant les différentes étapes de son voyage.
Le réalisateur utilise le modèle habituel des films de voyage ainsi que leur ressort comique, mais il le fait avec une habileté indéniable. La magie opère et nous replonge même, avec une certaine nostalgie, dans nos pérégrinations de jeunesse.
Ricardo Trogi a un véritable talent de conteur. Il réussit à nous surprendre même si son histoire demeure, à la base, relativement convenue. L’une des forces du film est, sans doute, sa narration. L’utilisation d’une voix hors champ, la sienne, permet d’ailleurs d’ajouter une bonne couche d’autodérision à l’exercice. Ce procédé contribue à rendre son alter ego encore plus attachant, même si celui-ci n’est pas exempt de défauts.
La bande sonore, comme dans les autres films de Trogi, est une véritable réussite. Elle contribue à elle seule à nous replonger dans cette époque. La réalisation est maîtrisée et dynamique. Nous avons particulièrement aimé ses clins d’œil au cinéma italien lors des séquences fantasmées en noir et blanc.
Les acteurs sont tous excellents, à commencer par Jean-Carl Boucher, qui interprète le jeune Ricardo. Sandrine Brisson, dans le rôle de la mère de Ricardo, est toujours aussi drôle et attachante. Elle réussit à rendre crédible son personnage, même si celui-ci est à la limite de la caricature.
Marah Lazaris, qui personnalise Yorda, une amie de voyage de Ricardo, tire aussi son épingle du jeu. En quelques scènes à peine, elle réussit à nous culpabiliser pour toutes les occasions où nous, les hommes, avons pu être maladroits en amour. L’avant-dernière scène, « malaisante » à souhait, aurait d’ailleurs pu, se retrouver dans « Horloge biologique ».
La conclusion de « 1991 » fait, en quelque sorte, la jonction avec les deux premiers films du réalisateur. Ricardo Trogi y avait abordé le thème de la communication, de la redéfinition des valeurs dans le couple et du décalage entre nos fantasmes et la réalité.
Son alter ego, devenu adulte, ressemble finalement, de plus en plus, au Cossette de « Québec-Montréal », ou à Paul Beauchamps d’« Horloge biologique ». Ces hommes recherchent un idéal féminin sans jamais le trouver, mais, en fait, le souhaitent-ils réellement ?